L'Indigné du Canapé

Le processus constitutionnel au Chili : inspirant, et suffisant ?

Le Chili est un laboratoire, pour le pire c’est sûr, mais qui sait, peut être aussi pour le meilleur un jour ? 

Laboratoire car il a été un des rares pays socialistes (réellement socialiste) des années 60. Mais aussi parce qu’il a été, par un phénomène de cause à effet, le théâtre d’un libéralisme forcené imposé par les États-Unis et les Chicago Boys à travers la figure du traître Pinochet et de ses militaires factieux et meurtriers. 
Cause à effet car en pleine Guerre froide, voir un gouvernement miser sur l’éducation, l’égalité, qui réussit a réduire les inégalités et les injustices, c’était intolérable pour les chantres du capitalisme le plus pur.

Breeeef. 

Apres 50 ans de néolibéralisme total, le Chili est un pays plutôt développé, certes (selon les critères dominants, sa croissance, son industrie, son urbanisation, la taille de sa classe moyenne et sa classe ultra privilégiée) mais où les inégalités sont gigantesques et les droits humains pas toujours respectés. Et quand il y a inégalités et injustices, même quand les médias et politiciens tentent de créer des divisions entre dominés, il arrive toujours un moment où les dominés se révoltent contre les vrais instigateurs du modèle social recréant ces inégalités à l’infini. 

Depuis une bonne dizaine d’années, le Chili est agité par de nombreux soubresauts populaires : mouvements étudiants contre le caractère mercantile et ségrégationniste de l’éducation au Chili, mouvements féministes et mouvements autochtones contre les inégalités, mouvements contre les violences policières subies notamment par les femmes, les femmes autochtones (intersectionnalité) et les militants de gauche, mouvements contre cette économie libéralisée qui détruit toute possibilité de services collectifs efficaces et d’une démocratie réelle, et mouvements enfin pour une réécriture de la Constitution, acte potentiellement fondateur d’une émancipation des années noires du Chili, tant sur le plan politique (dictature) qu’économique (ultra-libéralisme). Et depuis 2019, la lutte sociale s’est accélérée, elle a lieu un peu partout, un peu tout le temps, signe d’un ras-le-bol, d’une nécessité de changement réel.

Lire aussi : L’extrême-droite se combat ou prolifère, la preuve au Brésil

Mais ces mouvements sociaux, de plus en plus nombreux et radicaux face à un pouvoir de plus en plus radical et violent, ont finalement abouti à quelque chose (c’est la preuve d’une « démocratie représentative » pas encore tout à fait autoritaire que de ne pas balayer par la violence toutes les demandes de la multitude). Le Chili, toujours laboratoire, décidément.

D’un processus constituant inclusif vers une société égalitaire

Cette avancée, cette victoire, c’est la création d’une Assemblée constituante dont la mission va être d’écrire une nouvelle Constitution. Un grand pouvoir, car la Constitution est la base légale d’un Etat, base sur laquelle tous les autres droits sont fondés et qu’ils doivent respecter.  Cette nouvelle Constitution est censée en finir avec un texte certes maintes fois réformé mais bien trop libéral et inégalitaire pour permettre d’apaiser les tensions récurrentes dans le pays.

Mais si vous voulez qu’un processus constituant incarne véritablement une rupture avec l’existant, il faut aussi que la constitution de l’Assemblée constituante fasse rupture. Et cela semble le cas, puisque sur les 155 citoyens en charge d’écrire ce texte fondateur, la moitié sont des femmes (77), des sièges (17) ont été réservés aux peuples autochtones, et la majorité des citoyens sont indépendants des partis politiques. De plus, ils représentent de très nombreuses catégories professionnelles différentes. Voilà la représentativité politique au sens strict du terme, une représentativité qui évite que des personnes non concernées s’approprient des sujets de société, ou que se multiplient des conflits d’intérêt entre des projets de loi et une certaines classe sociale. On est bien loin d’une représentation politique juste en France, bien loin.

De plus, c’est Elisa Loncón, une universitaire et militante mapuche, qui a été élue présidente de la Convention constitutionnelle.

« Que soit fondé un nouveau Chili, pluriel, multilingue, avec les femmes, avec les territoires, […] pour les droits de la terre mère, pour les droits de l’eau, pour les droits des femmes, pour les droits des enfants […] C’est notre rêve ».

« Cette force est pour tout le peuple chilien, pour tous les acteurs, pour toutes les régions, pour tous les peuples et nations autochtones qui nous accompagnent. Cette salutation et ce remerciement sont aussi pour la diversité sexuelle, cette salutation est pour les femmes qui ont marché contre tous les systèmes de domination […]. C’est pourquoi cette convention que je préside aujourd’hui transformera le Chili en un Chili plurinational ».

Réécrire la Constitution, c’est un beau principe. La parité mise en place dans cette Assemblée constituante est également un principe fort et nécessaire, en termes de symbolique, mais aussi pour une nouvelle Constitution égalitaire et juste. Néanmoins, si c’est important, ce n’est pas suffisant.

Une solution (de gauche) parmi d’autres

Le processus constituant est fondamentalement de gauche. Déjà, car il est venu de la rue, et est le symptôme d’une volonté de changement, d’évolution, progrès (quand la droite veut l’ordre, la conservation, la tradition voire le retour à l’ancien). De plus, parce que ce processus de changement est non-violent (quand la droite s’appuie typiquement sur les forces armées et la violence pour opérer ses coups d’Etat). Surtout, parce qu’il est horizontal, égalitaire, et cherche à être le plus inclusif possible (quand la droite prône la hiérarchie, voue un culte au chef, et est dans l’exclusion systématique).

Et enfin, parce que dans le cas spécifique du Chili, il s’oppose à une Constitution de droite radicale, voire d’extrême droite, favorable aux militaires, aux industriels, aux hommes puissants, et défavorables aux femmes, aux minorités ethniques et sexuelles, une Constitution assez logiquement défendue par les libéraux et les conservateurs de droite donc.

Lire aussi : Les parfaites différences entre l’extrême droite et l’extrême gauche

Ce processus constituant est une voie à explorer. Voire un chemin à prendre.
Dans le but de réencastrer l’économie dans le politique. De limiter l’économie aux possibilités écologiques (et à l’échelle locale). Dans le but d’inclure toutes les différences dans le politique, pour rendre ce dernier moins autoritaire. Dans le but d’encadrer le politique par le social, pour plus d’horizontalité.

Cela peut-être un moyen de regagner du souffle, de déplacer nos tranchées, nos espoirs, nos idéaux, à un niveau supérieur. Pas de tout arrêter, car il ne faut pas croire qu’il n’y aurait plus de problèmes, plus de volontés progressistes à porter. Il faudrait toujours, en parallèle d’un processus constituant, des mouvements de contestation, et des actions et expérimentations positives sur le terrain.
Mais il est indiscutable que la bataille idéologique progresse en s’incarnant dans des normes, et les militants gagnent de la force et de l’espoir en s’imposant, au lieu de toujours céder du terrain aux réactionnaires de tout poil.

Cela ne donne-t-il pas envie ?

Suivez-moi sur FacebookTwitterInstagram ou YouTube !

Sources :
https://www.lemonde.fr/economie/article/2017/11/18/au-chili-les-inegalites-n-en-finissent-pas-de-se-creuser_5216845_3234.html
https://www.amnesty.fr/pays/chili
https://www.erudit.org/fr/revues/lsp/2012-n68-lsp0495/1014808ar/
https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/26/assemblee-constituante-au-chili-nous-souhaitons-recuperer-tous-les-biens-elementaires-necessaires-a-la-vie_6081549_3210.html
https://www.lemonde.fr/international/article/2021/07/08/elisa-loncon-indigene-mapuche-a-la-tete-de-la-constituante-promet-un-nouveau-chili_6087593_3210.html

L’Indigné sur YouTube

L’Indigné sur Twitter

L’Indigné partout !

S’abonner à la Newsletter

Calendrier militant

Restons en contact

L'Indigné est aussi présent sur Facebook, Twitter, Instagram... Créons du lien.