
A Dunkerque (plus de 200 000 habitants), Aubagne (plus de 100 000), Niort, Compiègne ou encore Châteauroux, les transports en commun sont gratuits. En tout, une trentaine de villes françaises fournissent ce service gratuitement. Il existe même des pays, comme l’Estonie par exemple, où l’intégralité des transports en commun le sont. Plusieurs villes américaines ont sauté le pas aussi. L’Allemagne, elle, a drastiquement baissé le prix de ses transports en commun, l’Espagne a voté la gratuité (temporaire)… Il est donc matériellement possible de mettre en place cette gratuité, comme pour les soins, ou l’éducation, comme un jour, souhaitons-le, c’est une questions de dignité humaine, pour le logement ou certains biens alimentaires (voir tous les biens alimentaires ?). Mais les résistances sont énormes dans une société où l’économie prend toute la place, avec une seule idéologie : la logique marchande et ses lois injustes. Dernier exemple en date : Pécresse et la région IDF qui ont augmenté les coûts du transports en région parisienne…
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Sauf que la logique marchande, si efficace puisse-t-elle être (lol), n’est pas infaillible. Par exemple, les transports publics font partie des services dits « collectifs ». Ces derniers sont des services dont les caractéristiques ne sont pas adaptées aux « lois du marché ». En effet, la concurrence n’a aucun intérêt dans la production des biens collectifs. Bah oui, quel intérêt y a-t-il à laisser plein d’entreprises différentes créer pleins de routes parallèles ou plein de trains de « marques » différentes pour faire le même trajet ? Quel intérêt à construire différentes usines de traitement d’eau avec différentes marques de canalisation pour relier tout ça aux habitations ? Ce sont beaucoup de frais et de destructions écologiques inutiles. Ces biens et services collectifs doivent donc être assurés de manière centralisée (et je le précise tout de suite, pas forcément par l’Etat, mais par la collectivité en tout cas).
Pourtant, on veut imposer de la concurrence partout, même quand c’est insensé. Pourquoi ? Car dans l’idéologie libérale, la concurrence est censée aboutir aux prix les plus bas (ce n’est pas toujours le cas, notamment dans le cas des biens collectifs), et donc être désirable pour les consommateurs. Sauf qu’en se focalisant sur les prix bas pour les consommateurs, on oublie les travailleurs qui eux subissent de plein fouet cette concurrence, quitte à en perdre du salaire, voire carrément leur travail. Et oublier les travailleurs, c’est aussi oublier les consommateurs, car en général, on est un peu des deux côtés. Moi oui en tout cas, pas vous ?
Donc quand nous, consommateurs, on cherche la rentabilité à tout prix, au final, on se tire une balle dans le pied (au profit du patronat). Quel intérêt à avoir des billets de train moins chers, ou un prix de l’eau qui reste bas (encore une fois, uniquement en théorie, car dans la réalité, la concurrence sur les biens collectifs ne fait pas forcément baisser les prix), si on a de l’autre côté un niveau de salaire qui baisse, ou qu’on se retrouve au chômage ?
Les transports, des services collectifs utiles et moins polluants
Autre argument pour éviter que les transports en commun ne soient gérés par la loi de l’offre et de la demande : ils n’ont pas qu’une fonction économique, mais également une utilité sociale, et permettent l’égalité de tous les citoyens dans leurs possibilités de déplacement (pour des raisons familiales, de santé, professionnelles, etc.). C’est garantir un certain exercice de l’égalité, une sorte d’égalité des chances donc. Car seulement se contenter d’affirmer que l’égalité existe déjà car elle est dans la loi ne suffit pas à la garantir dans le monde social…
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Là encore, c’est un argument qui remet dans les cordes l’idéologie de la concurrence à tout prix, une idéologie qui pense l’économie de manière totalement séparée du reste des réalités sociales. Dans la vie, tout n’est pas régi par les prix. On a aussi besoin d’amour, de repos, de douceur, de beauté, d’air pur, et tout cela ne s’achète pas. Pire, parfois, le monde économique détériore ces besoins, en nous privant de temps, d’énergie, de conditions matérielles d’existence dignes… Et en polluant notre environnement.
L’autre avantage clé en faveur de la gratuité des transports en commun, c’est évidemment la lutte contre la pollution et le réchauffement climatique. Qui peut nier aujourd’hui que la pollution des pauvres est une pauvre pollution, tandis que celle des riches est incommensurable ? Car ce sont les riches qui ont plusieurs maisons, plusieurs voitures (souvent plus polluantes), qui ont des jets privés qu’ils utilisent des dizaines de fois par mois, qui possèdent des yachts, des usines qu’ils n’hésitent pas à délocaliser dans des lieux à faibles contraintes environnementales, qui font du lobbying contre les réformes écologiques nécessaires, etc.
Savez-vous qu’en un mois, les 6 jets privés de Bernard Arnault ont produit les émissions d’un Français moyen pendant 52 ans ? Et que son yacht a émis 123 tonnes de CO2 en une semaine, soit 1400 fois plus qu’un Français moyen ! Qu’il a certainement plein d’autres moyens de locomotion pollution dont on ignore les chiffres.
Savez-vous qu’à l’été 2021, Jeff Bezos et trois acolytes ont émis 75 tonnes de CO2 CHACUN en 11 minutes, soit plus qu’un milliard de personnes dans leur vie entière, pour du « tourisme spatial ».
Savez-vous que 94 paquebots polluent autant que 250 millions de voitures en Europe, selon une ONG ? Bref, il faut arrêter avec ces démonstrations de richesses, et mettre tout le monde dans des trains, un point c’est tout. Avec la gratuité pour plus d’égalité. Basta.
Les 10% les plus riches émettent autant de gaz à effet de serre que les 50% les plus pauvres
Comment assurer des transports gratuits ?
C’est quoi l’arnaque avec la gratuité ? Qui paierait au final ? Eh bien, tout le monde, c’est le principe de la collectivisation. Dans une société égalitaire, tout le monde doit participer aux besoins essentiels, peu importe qui les utilisent ou pas. C’est l’inverse du principe marchand, mais ce n’est pas plus déconnant. En effet, le modèle marchand est très imparfait, car il ne fait payer que celui qui participe au marché. Or, même ceux ne participant pas à un marché peuvent en être impacté. Par exemple, tout le monde profite des transports, en commun, ceux qui les prennent, mais aussi ceux qui ne les prennent pas car ils bénéficient de routes moins denses, et d’une situation environnementale améliorée. Le conducteur de voiture ne paie pas pour les transports publics, mais il en tire un avantage, c’est ce qu’on appelle en économie une externalité positive. A l’inverse, le cycliste ou le piéton qui se prend de la pollution dans la figure n’a rien demandé mais risque d’aller chez son médecin à force de respirer du diesel et du sans plomb. Il est victime d’une externalité négative. Enfin, tout le monde subit les SUV et les jets privés. Pourtant, tout le monde n’a pas un SUV ou un jet privé… Si ?

Bref, toutes ces externalités sont à l’avantage des transports collectifs ou non polluants, et au désavantage des solutions individuelles, bien plus polluantes et inintéressantes en termes de bien-être collectif. Collectiviser est donc plus intelligent, et plus juste, socialement et écologiquement. C’est exactement le propos d’Albert Jacquart, interviewé à la radio en 1993 :
« Il faut tout repenser autrement. Un tout petit exemple, un peu pittoresque, j’y pense quand je suis en voiture. Pourquoi est-ce que dans les rues de Paris je peux circuler ? Parce qu’il y a un certain nombre de centaines de milliers de braves gens qui sont sous terre dans le métro. Ils me rendent service en étant là, s’ils n’étaient pas dans le métro, ils seraient dans les rues et je ne pourrais plus bouger, ce serait complètement engorgé. Par conséquent, le métro rend service aux gens qu’il transporte mais il rend encore plus service aux gens qu’il ne transporte pas. Par conséquent, ce service, il faudrait le payer. Par conséquent, c’est parce que je ne prends pas le métro mais ma voiture que je dois payer le métro.
Et à la limite on peut dire que le prix du billet de métro devrait-être négatif puisque les braves gens qui descendent sous terre rendent service aux autres en leur permettant de circuler à peu près tranquillement. Alors, à défaut d’être négatif, ça pourrait au moins être nul. Et j’imagine que voilà une action facile à faire qui consisterait à faire payer le métro parisien par ceux qui utilisent leur voiture. C’est juste, c’est économiquement parfaitement justifiable et pourquoi est-ce qu’on ne la fait pas ? On n’ose pas revenir en arrière sur des idées reçues. Ce n’est qu’un petit exemple pittoresque mais je crois que l’essentiel aujourd’hui, sinon on va à la catastrophe, c’est d’oser remettre à plat toutes nos idées reçues. »
Emboitant le pas à Albert Jacquart, il faut insister sur le fait que de manière générale, il faut lutter contre l’idéologie libérale (caution respectable du capitalisme), il faut lutter contre la propriété privée lucrative, il faut lutter contre l’enrichissement à outrance de certains et les effets négatifs qu’ils ont sur toute la société. Il faut interdire les yachts et les jets privés, au minimum. Il faut penser collectif, et penser gratuit.
Il faut insister sur la nécessité de transports en commun gratuits, de logements gratuits pour tous, mais aussi de biens nécessaires comme l’eau accessibles à tous. Là, on poserait les pierres d’un début d’anticapitalisme. C’est concret, c’est réel. Et cela peut se faire maintenant, au sein même du capitalisme ! Si des dizaines de villes françaises ont pu le mettre en place, pourquoi pas la vôtre ?
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Source :
https://www.franceculture.fr/economie/mobilite-faut-il-rendre-les-transports-publics-gratuits
https://www.francebleu.fr/infos/transports/transports-en-commun-gratuits-ce-qui-existe-ailleurs-en-france-1575304553
https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/l-estonie-devient-le-premier-pays-europeen-a-proposer-des-transports-en-commun-gratuits-sur-tout-son-territoire_2867975.html