
A l’initiative des Républicains, le Sénat a voté l’interdiction du port du voile lors des sorties scolaires, dans le cadre de la loi Blanquer, en cette année 2019 (mai) décidément bien sombre en ce qui concerne les Droits de l’Homme. Si cette loi devrait être retoquée par l’Assemblée Nationale ou par le Conseil Constitutionnel car elle nie un droit fondamental et marque une inégalité devant la loi, l’insistance de certaines personnalités politiques pour porter cette cause raciste (bien aidées par médias et citoyens) fait peur à voir.
Après certaines plages avec la polémique du burkini, la course à pied avec la polémique du hijab de running Décathlon, les postes de nombreuses entreprises privées fermés aux femmes voilées, nous sommes dans une obsession pour un recul de ces libertés fondamentales que celles d’avoir une opinion, un culte, et de se vêtir en adéquation avec. Notez que je n’ai pas mentionné la fonction publique, les membres représentant l’Etat et eux seuls devant afficher une stricte séparation d’avec la religion. Ah oui, sauf que ce projet de loi s’appuie sur une circulaire datant de 2012 et faisant des accompagnateurs.trices scolaires des collaborateurs occasionnels du service public…
Dit autrement : la laïcité étant claire et autorisant le port du voile (et autres signes religieux) des mamans accompagnatrices non fonctionnaires, ce sont des mesures très récentes (2012) qui tentent de trahir l’esprit de nos lois pour imposer des mesures ségrégatives aux seules femmes voilées. Donc l’argument selon laquelle il faudrait que les femmes voilées « s’adaptent à la société » dans laquelle elles vivent est dévoyé, car c’est la société qui s’adapte pour les empêcher de vivre comme elles l’entendent, alors que les lois françaises les y autorisent…

Cette circulaire (2012) fut dramatique pour de nombreuses mamans musulmanes souhaitant s’investir dans la vie scolaire de leurs enfants. Pour certaines de ces femmes vivant dans des quartiers populaires, l’école est souvent la seule institution publique encore présente. Couper les liens de ces mères avec l’école était donc d’une violence inouïe et un message radical que l’État leur adressait à elles et à leurs enfants, indirectement. Et dans ces écoles situées dans des quartiers où vivent une grande majorité de musulmans, comment faire ? Priver de sorties les élèves sous prétexte que le nombre d’accompagnateurs est insuffisant ?
Extrait du livre collectif dirigé par Nadia Henni-Moulaï, « Voiles et préjugés »
En 2019, quel est donc l’objectif de cette nouvelle tentative pour faire adopter une loi reléguant une fois de plus certaines femmes françaises à la marge de la nation (ségrégation), et donc, à la marge de leur propre citoyenneté, qui leur est niée en partie sous le seul prétexte d’un bout de tissu ?
– A-t-on des preuves qu’élever une personne dans la violence fait de cette dernière une personne plus douce ?
– A-t-on des preuves du fait qu’insulter une personne à longueur de journée la rende beaucoup plus polie et à l’écoute ?
Non.
Ces lois ne servent donc qu’à maintenir une fracture. Pire, elle ne font que la creuser et l’élargir, pour satisfaire un électorat de plus en plus intolérant qui nie l’esprit des lois pour justifier des positions ségrégationnistes (« ce n’est pas notre société qui interdit quoi que ce soit, ce sont ces femmes qui nient notre culture en refusant d’abandonner une partie de leur identité »). Aurait-il fallu demander aux Juifs ou aux Roms, voire aux Communistes de n’être plus eux-mêmes durant la Seconde Guerre mondiale pour satisfaire le régime nazi ? Aux Afro-Américains de n’être plus eux-mêmes jusque dans les années 60 dans des Etats-Unis ségrégationniastes ? Etaient-ce ces personnes stigmatisées, le problème ?
Ségrégation. On sait que c’est de la ségrégation. On ne veut plus laisser faire.


Contrairement à ce qui peut se passer dans d’autres pays, la France, extrêmement réactionnaire sur le sujet du voile, refuse d’accepter que ce sont ses élites (hommes politiques, médias d’industriels) le problème, et non pas ces femmes ni leur choix de porter un habit qui déplairait à certains.
Elle refuse d’accepter que réduire ces femmes à une seule facette de leur identité (l’ISLAM, bouh, terreur sur laquelle joue allègrement le RN depuis 40 ans, et rejoint désormais par presque tous les partis « validés » par l’oligarchie médiatique : LR, LREM, PS…) n’est pas une preuve de tolérance, de démocratie ou de féminisme et bien au contraire, est une preuve flagrante de stigmatisation (souvent masculine). Car oui, le voile est un résumé très imparfait d’une identité vue comme « musulmane » alors que toute identité est nécessairement multiple : ne peut-on être femme, musulmane, et être voilée ou non ? Etre aussi voilée ou non et sportive ou astrophysicienne, ou que sais-je encore ? Être voilée ou non et de gauche ou de droite ? Être voilée ou non et mère ou non ? Être voilée ou non et forte ou non, réservée ou non, célibataire ou non, etc. ? En France, il est très difficile de le penser, semble-t-il…
Enfin, la France refuse de voir que cette négation de la parole et de l’opinion de ces femmes, est un refus de leur dignité et de leur intégration, alors même qu’elles en font la preuve explicite dans ce cas (quoi de plus manifeste qu’une personne qui se propose pour participer à une sortie scolaire d’une classe d’école républicaine ?). C’est donc un acte qui ne peut que mettre de l’huile sur le feu.
Notre pays souffre d’un racisme profond, enraciné, cultivé, et refuse ce diagnostic. Alors, il retourne le problème et accuse « les autres » – ces autres qu’il met de côté – de communautarisme. Mais force est de constater que ce sont bien ces lois ségrégatives, cette économie inégalitaire et cette justice à deux vitesses qui sont le terreau au communautarisme, et pas l’inverse !
Lire aussi : Non à tous les racismes, non à toutes les récupérations du racisme

On ne résorbe pas les fractures sociales avec un marteau piqueur. La violence symbolique n’a jamais rien résolu. Stigmatiser n’a jamais intégré.
France, tu dois comprendre et accepter tes erreurs.
Personne ne te demande de remettre en cause la laïcité.
Personne ne te demande de remettre en cause tes valeurs.
Précisément, c’est l’inverse.
Si tu prône la liberté, l’égalité, la fraternité, alors, il te faut accepter cette société qui évolue, cette nation qui bouge, et comprendre que la nation se fonde et se refonde avec tous les citoyens qui veulent en faire partie. Non pas sur des critères dépassés de « race » ou de « religion », mais sur les critères du vivre-ensemble, les plus larges possibles. Ces femmes qui veulent en faire partie, c’est toi qui les nie.
« Laissez-moi libérer mon gospel
La France ne reconnaît pas les communautés mais nous traite comme telles
Quand les gens sont boycottés, forcément, ils se lassent
Quand on met les gens de côté, forcément, ils s’éloignent »
Youssoupha, Entourage
En agissant de manière violente, autoritaire, « puriste », en niant l’existence sur ton sol de femmes françaises qui ont choisi de porter le voile :
1/ tu nies celles – minoritaires – qui sont forcées de le porter : car ce n’est pas par l’interdiction pour toutes que l’on traite des problèmes – plus graves – pour certaines. Dit autrement, on ne guérit pas d’une maladie en se focalisant sur le symptôme, mais sur la cause. En te focalisant sur le symptôme, tu risques au contraire de créer de la défiance et d’amplifier ce que tu cherches à faire évoluer.
2/ tu ne vaux pas mieux que les pays qui obligent au port du voile en obligeant au non-port du voile. Tu restreins tes propres libertés, acquises de longue date. Tu joues le jeu de l’escalade, de la répression. Tu ne te montres pas comme étant le pays le plus digne, par ses lois et son éthique. Tu te dégrades et tu fais donc triompher le raisonnement nationaliste et réactionnaire de ceux que tu dis combattre. Car oui, les extrémismes se ressemblent, qu’ils soient au RN ou chez les intégristes religieux forcenés.





Bilan : en frappant les mains pacifistes de ces personnes tendues vers toi, tu t’auto-détruis, toi et toutes tes convictions, à petit feu…
Comprends-le vite, petite, toute petite France. L’autoritarisme te sied mal.
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