
Nahel est mort. Non, il n’est pas mort. Nahel a été tué par un policier. Il a été exécuté sans procès par LA police. Paix à son âme et condoléances à la famille.
17 ans. Un de plus dont la police est le bourreau, bourreau qui se passe de la justice et tue, dans un pays qui a pourtant fini par abolir la peine de mort.
J’en ai déjà parlé mais je le redis. On ne peut pas se targuer de vivre dans une démocratie, au « pays des droits de l’homme », crier « République » sur tous les toits autre forme d’argumentation, et laisser la police, un organe d’Etat payé par l’argent public et censé maintenir l’ordre et la paix (l’ordre et la paix pour qui ?), agresser, mutiler, tuer, à la fois dans une logique politique – antidémocratique – d’annihilation des contestations militantes, et dans une logique sociale – raciale – de relégation d’une partie de la population dans la ghettoïsation et la souffrance silencieuse.
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En 2022, 9 personnes ont été tuées suite à un contrôle routier et à un refus d’obtempérer. De, plus, de nombreux autres sont morts dans leur fuite. De nombreux autres ont été blessés. En 2023, on compte déjà 3 morts dans ces circonstances et de multiples blessés par balle. Des chiffres en constante augmentation notamment du fait de la loi de 2017, assouplissant l’usage des armes à feu pour la police. Avant 2017, il y avait en moyenne un mort par an en lien avec un contrôle routier effectué par la police. Désormais, c’est plutôt 5 par an, en moyenne. Ce sont 5 de trop, même si parfois la légitime défense peut être invoquée.

Et on ne parle même pas des morts suite à un plaquage ventral entraînant l’asphyxie ou le malaise. On ne parle même pas des morts suite à un tabassage en règle dans un commissariat. On ne parle même pas des morts « mystérieuses » constatées au petit matin, souvent dans les commissariats également… Trop c’est trop !
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On ne doit pas se laisser détourner du problème de l’augmentation des meurtres policiers. La gravité ici tient au comportement de la police, et pas à quoi que ce soit d’autre.
La loi doit être plus contraignante pour la police
Dans cette affaire, grâce à une vidéo amateure (filmez la police !), on a évité la triple peine : un meurtre policier (inexcusable), doublé d’une fausse déclaration assurant que le policier avait tiré car il risquait sa vie (inexcusable), triplé par le jeu des médias et des vautours d’extrême droite cherchant à salir la mémoire de la victime en lui collant toutes les réprobation morales possibles (le casier judiciaire étant leur Graal, alors qu’on s’en fout, seule la légitime défense peut à la limite justifier un tir d’un policier, rien d’autre). Malheureusement, dans bien des cas, la police vole au-dessus des lois. Ici, grâce à la vidéo (et à l’embrasement qui a pris spontanément dans toutes les villes), cela ne sera peut-être pas le cas mais pour combien de relaxes honteuses et de peines dérisoires pour la police ?
Il faut revenir urgemment sur la loi de 2017… et même rendre la loi bien plus contraignante pour cette police qui joue avec les limites et ne respecte plus forcément l’Etat de droit (voyez les déclarations attentatoires à l’état de droit de leurs syndicats). Comment ? Avec l’obligation de la caméra individuelle toujours allumée lors d’une interpellation, l’obligation réitérée du port du RIO sous peine de sanction, l’obligation du récépissé lors des contrôles pour réduire les contrôles au faciès etc. Sans parler de revoir de fond en comble la formation de la police, sans parler de refonder totalement l’IGPN, organe de contrôle de la police composé de policiers (non mais allô quoi)… De nombreuses propositions (réformistes) que je listais ici.
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C’est insuffisant mais nécessaire, afin de réaffirmer haut et fort que non, ce n’est pas la police, encore moins quand elle est factieuse, qui fait sa loi. Mais il faudrait aller bien plus loin encore, en interne (et pourquoi pas supprimer le port d’arme voire supprimer… la police, comme le propose Ricordeau ?) comme en externe, en affirmant que c’est la société capitaliste néolibérale qui doit changer si on veut vraiment voir des améliorations dans le fonctionnement de l’ordre social…
Le système socio-économique doit aussi changer
La police, à travers ses syndicats menaçant l’ordre républicain (mais que fait Darmanin ?) se défend de ce meurtre en invoquant le fait que de plus en plus de conducteurs cherchent à se soustraire aux contrôles automobiles. D’accord, mais est-ce un permis de tuer ? Non. Est-ce une argumentation à côté de la plaque ? Oui.
Et surtout, pourquoi ? Pourquoi cette fuite, cette peur ? On peut émettre différentes hypothèses. Ces jeunes hommes surcontrôlés par la police sont souvent racisés (contrôles au faciès) mais aussi souvent de milieu populaire voire précaire. Ils sont dans la débrouille et dans ces milieux, on s’en sort souvent grâce à un véhicule (voiture, scooter), qu’on soit livreur dans la restauration, chauffeur-livreur, chauffeur Uber ou VTC, déménageur, etc. Mais quand on est auto-entrepreneur ou au SMIC, l’assurance coûte cher. Quand on a encore moins les moyens, on fait ça au black. Parfois, on a perdu ses points mais on continue de conduire car c’est notre seul gagne-pain.
En bref, on tente de gagner sa vie mais sans se permettre de perdre des points sur le permis (ou de se faire retirer son permis), ou de payer des amendes à répétition. Alors la police, bras à de l’Etat, se transforme en alliée du capital (c’est drôle quand même, c’est quasiment la définition du néolibéralisme). Si on ajoute à ça l’inflation, les droits des chômeurs qui baissent, les discriminations à l’embauche des jeunes hommes racisés en France, le racisme dans la police, etc., on démultiplie les risques de fuite au volant et de meurtres policiers. Mais ces questions sont à poser, non ? Ou peut-être ne voyez-vous ou ne comprenez-vous pas les différences entre expliquer/comprendre et justifier/excuser ?
Révoltes et pillages : des actes politiques
D’ailleurs, il n’est pas du tout anodin que lors des révoltes ayant suivi la mort de Nahel, de nombreux lieux de consommation capitaliste aient été attaqués. Des supermarchés, des boutiques de grandes marques. Comme quand jadis, les jacqueries, les croquants ou les bonnets rouges attaquaient les lieux de pouvoir, les jeunes révoltés ne sont pas des « sauvages » sans jugeotte, ni foi, ni loi. Ils attaquent, consciemment ou inconsciemment, des lieux symboliques de leur domination, des entreprises qui ne les embauchent pas mais leur font miroiter le luxe et le prestige de ceux qui possèdent tout, des lieux représentatifs de l’Etat leur montrant à quel point on les discrimine et on les enferme dans des quartiers sans jamais les protéger ni les émanciper, à l’école, à Pôle Emploi, dans les prisons et les mairies, partout. En cela, ils incarnent un vrai sujet collectif et politisé. Ne ne vous y méprenez pas. Durant la Révolution française, durant la Commune de Paris, durant Mai 68, chez les Gilets Jaunes, aux cœur des Black blocs, c’est la même logique qui règne. Symboliquement, on attaque les lieux des pouvoirs injustes, le pouvoir étatique, le pouvoir capitaliste.

Et face à eux se dresse une hydre à deux têtes : à la fois les bourgeois, épouvantés, préférant leurs sous aux vies des Noirs et des Arabes, et qui veulent le retour au calme, la colère sous cloche, que les enfants ostracisés le soient encore et toujours tant qu’ils ne font pas de bruit, pas de vague. Mais aussi les fachos, qui eux rêvent d’un pays mythologique chimiquement pur, plus blanc que blanc, et qui, dans leur fantasme de guerre civile (qu’ils provoquent plus qu’ils ne subissent), se constituent en milice et sortent défoncer du « n.gre » et du « b..gn..le » parce que la police serait victime d’un pouvoir « gauchiste ». On en est là. Comme toujours, la bourgeoisie a besoin de l’extrême droite quand elle a peur pour ses privilèges matériels, et l’extrême droite est une alliée objective de la bourgeoisie quand cela lui permet d’avoir les coudée franche pour mener une politique et des actions, ici ouvertement racistes (mais aussi antisémites, sexistes, homophobes, etc. selon le contexte).
Il est donc important de se poser les bonnes questions sur notre système économique soit disant juste car concurrentiel et méritocratie et sur la pseudo-solution que constitueraient les Le Pen et les Zemmour. Tout ça, ce sont des illusions qui nous entraîneront dans le mur. La seule sortie par le haut consistera à écouter la colère populaire et à réagir en ce sens, en désarmant la police, en interdisant ses syndicats factieux (et l’IGPN), en lançant un grand projet de réforme de cette institution gangrénée, et en construisant une société plus juste pour chacune et chacun, économiquement et socialement… ce qui passera aussi par une refonte de notre système politique lui aussi gangréné. Courage à nous !
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Pour prolonger :
https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/29/mort-de-nahel-a-l-assemblee-la-loi-de-2017-sur-l-usage-des-armes-a-feu-par-les-policiers-au-centre-des-critiques_6179855_823448.html
https://www.france24.com/fr/france/20230628-refus-d-obtemp%C3%A9rer-pourquoi-les-tirs-mortels-de-la-police-ont-augment%C3%A9-en-france
https://www.arretsurimages.net/chroniques/sur-le-grill/zemmour-et-nahel-qui-est-le-delinquant-multi-recidiviste
https://www.pointdevue.fr/royal/france/les-revoltes-populaires-au-fil-de-lhistoire-de-france
https://www.cairn.info/revue-topique-2015-3-page-39.htm