L'Indigné du Canapé

Pourquoi les idées de gauche perdent-elles tout le temps ?


Pourquoi les idées de gauche perdent-elles tout le temps et comment cela pourrait-il changer ?
C’est un peu la traduction du titre du livre de Geoffroy de Lagasnerie, intitulé « Sortir de notre impuissance politique ». 

Dans ce livre, qui a un peu la forme d’un recueil de petites notes, compilées et ordonnées après coup, GdL nous propose d’analyser ce qui fait que les idées de gauche (comprendre : celles défendant plus de libertés collectives et de justice sociale) reculent, perdent du terrain depuis 50 ans, et n’arrivent plus à convoquer un imaginaire pour lequel les foules sont prêtes à se mobiliser. 

Déjà, il revient sur une idée clé, déjà mise en avant depuis les années 90 par Touraine, Bourdieu et d’autres, selon laquelle les mouvements sociaux, ayant obtenu de nombreuses améliorations des conditions de vie des plus précaires tout au long du XXème se sont vus devenir défensifs dans les années 80-90 face aux coups de boutoir d’un néolibéralisme déterminé, et ont dans le même mouvement abandonné la lutte pour plus d’acquis, pour un monde « encore plus juste » en quelque sorte. Et soutenir une dynamique qui veut protéger les conditions actuelles (obtenues de haute lutte, faut-il le rappeler, mais loin d’être idéales malgré tout) contre leur disparition, c’est moins séduisant que soutenir un mouvement qui veut améliorer clairement les conditions actuelles. 

De plus, il explique que les outils classiques de l’engagement politique ne fonctionnent plus (la encore, cela a déjà été dit). Grève, manifestations, pétitions… sont du pipi dans un violon. Difficile de nier que les gouvernements du XXIème siècle, toujours aussi verticaux (et encore plus en contexte d’état d’urgence sociale ou sanitaire), n’ont aucun mal à ignorer le mécontentement populaire, bien aidés par des médias de classe, acquis à leur cause ou tout du moins en opposition avec celles des manifestants. 

De nouvelles stratégies d’attaque

Pourtant, GdL refuse de tomber dans le défaitisme et propose de nouvelles stratégies d’attaque pour la gauche. La première est classique : l’action directe. Le fait d’agir dans le sens de ce qu’on veut obtenir, plutôt que d’attendre que les autorités le mette en place sous la pression des revendications. L’exemple de cette association de défense des animaux qui, plutôt que de filmer les abattoirs pour faire réagir l’opinion comme le fait une autre (célèbre), les ouvre pour remettre les bêtes en liberté, est édifiant. C’est concret, cela transmet immédiatement de nouvelles valeurs, et oblige chacun a se positionner. Et force est de constater qu’il est difficile pour la puissance publique de se positionner contre le bien-être d’animaux en liberté que contre le fait de filmer l’intérieur d’abattoirs…

La seconde est intéressante également. Elle revient à penser que l’entrisme est un comportement politique (pour moi qui pense que tout est politique, cela se tient) et qu’il faut impérativement que les citoyens de gauche ne fuient pas les lieux de pouvoir, mais au contraire les investissent pour les transformer de l’intérieur. On peut légitimement douter de la pertinence pour un citoyen et militant engager de préférer rejoindre une association plutôt qu’un ministère (s’il a réussi à passer tout un tas de sélections censées débouter les intrus) pour obtenir des avancées significatives sur telle ou telle cause. En filigrane, ou devine notamment l’importance du droit comme outil de déconstruction de la domination, publique comme privée. 

J’apporterai un bémol sur ce point du livre. Sans aller jusqu’à essentialiser le pouvoir et le considérer comme « maudit » a priori (selon l’adage de l’anarchiste Louise Michel), ne peut-on pas douter des capacités d’action d’un individu isolé ou presque (spirale du silence ou non) et dont le travail militant consisterait à miner la place où il officie ? 
Dans « Changer le monde sans prendre le pouvoir », J. Holloway défend une proposition diamétralement opposée, considérant que la recherche du pouvoir constitue fondamentalement ce qui perd la gauche et que la gauche doit apprendre à faire et à proposer sans ou au-delà de la logique de pouvoir (du moins dans sa dimension coercitive, sans remettre en cause l’idée de pouvoir d’agir, de capacité à agir). La loi d’airain de l’oligarchie de Michels qui stipule que toute organisation qui s’élargit et s’institutionnalise sécrète une élite dont les intérêts se mettent à diverger de ceux de la base, va plutôt dans le sens d’Holloway. Pour autant, à court terme, la theorie de GdL reste peut être pertinente, à vous d’en juger… 

Sur la violence et la convergence

La position de GdL sur la violence mérite d’être énoncée également. Car elle pourrait soulager certains du fardeau d’être de gauche et de s’entendre dire, soit qu’on n’a pas le monopole du coeur, soit que l’on est un bisounours et qu’on n’a aucune conscience du réel (la bonne blague quand on sait sur quelles théories s’appuie la pensée de droite), soit qu’on est un violent « islamogauchiste antifa de black bloc blablabla ». Selon GdL, la question de l’utilisation de la violence et de son niveau est non pertinente. Y répondre, c’est jouer sur le terrain de l’ennemi. La question centrale est celle des valeurs que l’on veut voir émerger en ce monde, et cette émergence doit se faire, parfois via des actions violentes, parfois non. 

La violence est à voir comme quelque chose de relatif, pas d’absolu. La violence des manifestants est donc toujours à mettre en perspective par rapport à celle du pouvoir. À cette aune, refusons de dialoguer avec ce pouvoir sur un hypothétique degré de violence acceptable (pour lui, qui prendra toujours fait et cause pour sa police, évidemment). Notre seule boussole, c’est la dignité humaine ET la victoire de valeurs qui vont en ce sens, malgré les oppositions. 

Enfin, on peut noter son positionnement sur la convergence des luttes, rassurant également dans la perspective d’une victoire des idées de gauche à moyen terme. Selon lui, vouloir la convergence à tout prix ne fait pas sens. Des luttes telles que celles contre les violences policières, les conditions de vie dans les prisons, les violences homophobes, le patriarcat, la destruction des emplois précaires, les destructions environnementales, etc. sont toutes utiles et nécessaires mais n’en sont pas renforcées par une logique de convergence, car cette dernière aurait plus tendance à brouiller le message qu’à créer de l’engouement et un effet boule de neige. Notamment car toujours selon l’auteur, toutes ces problématiques ne naissent pas toutes des mêmes causes : le patriarcat préexistait au capitalisme, l’homophobie également, la violence d’Etat n’est pas la même que la violence privée (patronale), etc. 
Est-on plus efficace en attaquant tous ensemble frontalement, ou en attaquant des points distincts, par petits groupes ? Je vous laisse là encore la réponse ouverte. 

Pour autant, sans hésitation, ce petit livre d’à peine 100 pages ouvre des portes de réflexion et déconstruit certaines idées reçues. Je ne sais pas s’il participera vraiment à nous faire sortir de notre impuissance politique.
Mais espérons que son optimisme manifeste y contribue… 

Pour creuser, une interview :

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