L'Indigné du Canapé

OQTF : surenchère médiatique ou banalité de la violence d’Etat ?

Il parait que si vous dites « OQTF » à une personne d’extrême droite, elle devient toute rouge immédiatement. Certaines se mettent même à siffler des oreilles et à voir leurs yeux s’exorbiter ! Blague à part, l’Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) est devenue un sujet de débat public récurrent en France ces dernières années. Le Figaro cherche chaque fait divers sur le sujet pour en faire une brève… Et comme souvent quand on parle de stats produites par la police et la justice, les incompréhensions sont nombreuses. Essayons de montrer comment les changements législatifs ont contribué à l’augmentation du nombre d’OQTF, et comment le discours médiatique (qui penche à droite, n’en déplaise aux droitards) a amplifié la perception de ce phénomène jusqu’à en faire une pseudo priorité nationale bien réac’ et bien éloignée des vrais problèmes de tous les jours.

Davantage d’OQTF mais A CAUSE de la justice et de la police

L’OQTF a été créée par une loi de 2006 (l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, APRF), mais c’est une loi de 2011 qui a élargi son champ d’application. Ce changement a eu pour conséquence directe une augmentation significative du nombre d’OQTF prononcées et des droits réduits pour les personnes (réduction des délais de recours, durée d’exécution de la peine rallongée).
Entre 2012 et 2017, le nombre annuel d’OQTF oscillait déjà autour de 80 000. Cependant, ce chiffre a connu une croissance exponentielle par la suite, atteignant 134 280 en 2022. 

Cette augmentation spectaculaire ne reflète donc pas (forcément) une hausse de l’immigration irrégulière, mais plutôt un élargissement des critères pris en compte par la loi, et aussi le résultat du travail de la police. On rappelle que la politique du chiffre pousse les policiers à résoudre des cas simples pour avoir un meilleur taux de résolution, et donc de meilleurs budgets. L’augmentation d’un phénomène peut donc autant signifier qu’un phénomène augmente concrètement, ou qu’il est davantage ciblé par la police, ou qu’il couvre davantage de situations juridiques… Bref, ça ne dit pas beaucoup de choses concrètes.

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Et alors que le nombre d’OQTF prononcées a augmenté, leur taux d’exécution a diminué. En 2012, le taux d’exécution atteignait 22,3%, mais il est tombé à seulement 6,9% au premier semestre 2022. De plus, ce taux de 6,9% ne prend en compte que les renvois forcés, et pas les éloignements aidés et les départs volontaires. En réalité, le chiffre tourne plutôt aux alentours des 15%, ce qui fait quand même de la France le pays européen expulsant déjà le plus de personnes, vive l’extrême centre !
Mais en vrai, ceci n’est pas du tout important. Car le cœur du sujet, c’est pourquoi on prononce des OQTF ? Est-ce que la majorité des OQTF sont des dangereux criminels ? C’est ça que veut savoir Roger, électeur RN depuis 35 ans même si son parti préféré risque de le faire bosser plus et de ne rien faire pour son pouvoir d’achat…

La construction d’un problème public

Malgré la perception qu’en a Roger (et vous aussi, peut-être), il faut noter que la grande majorité des personnes sous OQTF ne pose aucun problème d’ordre judiciaire. En effet, les OQTF sont souvent prononcées pour des raisons administratives plutôt que pour des motifs liés à la sécurité publique. Et les raisons administratives sont des raisons que l’Etat se donne à lui-même. Dit autrement, elles n’ont aucun caractère urgent ou nécessaire, sinon celui que l’Etat s’impose tout seul.

On le rappelle mais alors que le monde a profondément changé depuis 100 ans, qu’il a permis la circulation des marchandises, des fortunes et des personnes (riches) sans aucune commune mesure dans l’Histoire, la France ne subit aucune « submersion », elle accueille même relativement moins que les autres pays. Aujourd’hui en France, les étrangers constituent 8.2% de la population totale, contre un peu plus de 7% en 1975 et… 7% aussi dans les années 30 ! Bref, c’est un phénomène assez stable. Nulle submersion ici, sauf dans la tête déjà pleine d’eau de l’extrême droite et des éditorialistes suivant la même pente.

Les témoignages recueillis montrent la détresse des personnes visées par une OQTF. Certaines expriment le sentiment d’être traitées « comme des terroristes », alors qu’elles sont souvent bien intégrées dans la société française. Les OQTF peuvent avoir des conséquences dramatiques sur les familles, séparant parfois des parents de leurs enfants. Cette réalité est souvent occultée dans le débat public, qui se concentre davantage sur des aspects sécuritaires en grande partie imaginaires. Des associations comme la Cimade dénoncent ce qu’elles qualifient de « machine à expulsions à tout prix ». Par ailleurs, la politique française des OQTF s’inscrit dans un contexte plus large de politique européenne d’externalisation de l’asile. Cette approche, mise en place depuis une vingtaine d’années, a des conséquences dramatiques, avec des milliers de personnes perdant la vie chaque année en Méditerranée par exemple, ou des conditions inhumaines en Turquie, en Libye…

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Et on le sait, le discours médiatique a joué un rôle crucial dans la construction d’un problème public autour des OQTF. Les médias ont tendance à se focaliser sur des cas isolés, créant une perception disproportionnée de la menace que représenteraient les personnes sous OQTF. Le journal Le Figaro par exemple va, à la manière de Valeurs Actuelles, consacrer une brève à chaque fait divers concernant une personne soumise à une OQTF, donnant une illusion de grand nombre alors qu’elles représentent une goutte d’eau dans une population de dizaines de millions d’individus. Une étude du CNRS souligne que la couverture médiatique de l’immigration influence directement les perceptions des électeurs. En amplifiant certains récits ou en insistant sur des cas isolés, les médias contribuent à construire une image problématique de l’immigration, parfois déconnectée de la réalité statistique.

De la même manière, le fait qu’un Retailleau, qu’un Bayrou, qu’un Ciotti, emboitent le pas d’un Bardella, d’une Le Pen etc. donne un sentiment de matraquage politique sur le sujet et peut faire naître une certaine peur dans la population. Et comme un cercle vicieux, ces discours sont repris dans les médias, ce qui permet d’appuyer jusqu’à la lie un fantasme convergent avec un certain racisme.
Quand on sait enfin que les USA assument désormais une politique de déportation massive et des discours aux extrêmes droites les plus virulentes, il y a de quoi envisager l’avenir avec une certaine sensation de froid dans le dos…

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