
Les Antilles françaises sont confrontées à une réalité économique brutale : le coût de la vie y est beaucoup trop élevé pour l’essentiel de la population. Pire, l’alimentaire y est plus cher qu’en métropole de 30 à 42%, alors que le niveau de vie moyen y est bien plus bas (34% de la population vit sous le seuil de pauvreté en Guadeloupe, un taux presque trois fois plus élevé qu’en France). Mais pourquoi les mécanismes de marché ne fonctionnent-ils pas ? Malheureusement, ce n’est pas un simple bug économique lié à l’inflation récente ou à une guerre ici ou là. Cette situation est le résultat d’une histoire coloniale et d’un capitalisme mondialisé.
Un héritage colonial qui pèse encore très lourd
L’histoire de la Martinique et de la Guadeloupe (on se focalisera sur ces deux départements ici) est indissociable de la colonisation et de l’esclavage. Ces périodes sombres ont laissé des traces profondes sur la structure économique des îles et continuent d’influencer la vie quotidienne de ses habitants.
L’Octroi de Mer est une taxe coloniale anachronique : l’octroi de mer, une taxe sur les produits importés (par bateau), est un héritage direct de l’époque coloniale. Conçu initialement pour financer les dépenses des colonies, cet impôt continue aujourd’hui d’augmenter considérablement le coût des produits de consommation courante. Les produits de première nécessité, souvent importés, voient leur prix grimper en flèche en raison de cette taxe, qui pèse particulièrement lourdement sur les ménages à faibles revenus. Vous imaginez ? Cette taxe n’est pas un simple outil de gestion économique mais une relique d’un système économique fondé sur l’exploitation coloniale. Pourquoi l’Etat français ne fait-il rien ? Quels lobbyistes l’en empêche ?
Des structures économiques monopolistiques : au-delà de l’octroi de mer, c’est toute la structure économique de la Martinique qui est marquée par l’empreinte coloniale. Les infrastructures, les circuits de distribution et les rapports de pouvoir entre les différents acteurs économiques sont le résultat d’un modèle conçu pour servir les intérêts de la métropole et non ceux de la population locale. Ce modèle persiste aujourd’hui, et continue d’engendrer des inégalités.
Seules quelques grands groupes se partagent la plupart des marchés de Guadeloupe et de Martinique. Par exemple, depuis le début 2025 et un article publié dans Libération, le Groupe Bernard Hayot (GBH) fait polémique (pas assez à notre goût) car il est accusé d’abus de position dominante et d’entente, des pratiques anticoncurrentielles illégales qui ne sont possibles que sur les marchés en quasi-monopole. En Guadeloupe comme en Martinique, « dans la grande distribution, deux groupes ont une présence significative. Il s’agit de GBH et SAFO ». Ils détiennent chacun des dizaines de magasins alimentaires et spécialisés, mais aussi leur propre centrale d’achat, ainsi que leur propre circuit d’acheminement. Dit autrement, ces consortiums font la pluie et le beau temps, peuvent organiser la pénurie, favoriser certaines marques, décider des prix. L’inverse de la concurrence.
L’accumulation primitive de familles esclavagistes : quelques familles « békés », dont l’histoire est souvent liée à la traite négrière ou à la gestion des plantations, ont su maintenir leur influence à travers des quasi-monopoles. Elles exercent un contrôle sur des secteurs clés tels que l’importation, la distribution ou la grande distribution. Exemple avec les familles Huyghues-Despointes (qui détient le groupe SAFO) et Hayot (groupe GBH) et qui sont aux Antilles depuis le XVIIème siècle et se sont enrichies par l’esclavage et la culture sucrière. Cette concentration de richesse dans les mains d’une minorité peut être analysée à la lumière de la théorie de l’accumulation primitive du capital de Karl Marx. Cette théorie souligne que la richesse des premiers capitalistes a été en partie construite sur l’exploitation du travail et sur des pratiques injustes comme l’esclavage et continue de structurer la vie économique, sociale et politique aujourd’hui. Cette réalité historique est particulièrement notable dans les Dom-Tom, on vient de le voir.
Le libéralisme est souvent le cache-nez du capitalisme : on le sait et on l’a déjà dit. Sous couvert de libéralisme économique et de libre concurrence, le système en place favorise en réalité la concentration des richesses dans les mains d’une élite. C’est le principe du Monopoly, où l’argent va à l’argent et le « winner takes all ». Les oligopoles locaux, grâce à leur position dominante, peuvent imposer des marges de profit abusives, gonflant ainsi artificiellement les prix. Une étude démontre que les marges pratiquées par les acteurs économiques en Martinique peuvent être supérieures de 17% à celles observées ailleurs. Cette pratique nuit directement au pouvoir d’achat des consommateurs, et contribue à la cherté de la vie. Ce système capitaliste ne bénéficie qu’à une minorité, on le sait, mais c’est limpide sur ces îles où les ramifications sont moins complexes.
Le commerce international ne bénéficie pas à ces départements de France : les circuits commerciaux aux Antilles sont également une source prix élevés et d’inefficacité. La situation géographique insulaire génère des coûts de transport importants. Ces coûts sont encore aggravés par des circuits commerciaux illogiques, qui imposent des détours inutiles. En raison des accords commerciaux européens, des produits disponibles à proximité, par exemple dans d’autres pays d’Amérique latine, doivent être acheminés par l’Europe, ce qui augmente les prix et l’empreinte carbone. Cette situation absurde met en évidence la déconnexion entre les réalités locales et les règles dictées par des accords commerciaux pensés pour un autre contexte.
Le système capitaliste crée une élite et une pauvreté endémique
En Martinique, 27 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, un taux qui atteint les 34% en Guadeloupe, comme on l’a dit ! Ces chiffres alarmants témoigne des inégalités et de la précarité qui touchent de nombreuses familles. Pendant ce temps, des familles qui se sont enrichies à l’époque de la traite négrière et de la prétendue « inégalité des races » continuent à vivre leur meilleure vie en exploitant des prolos non-blancs. Tout cela démontre l’inefficacité du capitalisme et de l’Etat-nation. C’est pourquoi nous défendons un système décentralisé, local, et débarrassé des archaïsmes d’un capitalisme ne faisant que creuser des inégalités honteuses.
Seule une remise en question radicale de ces structures d’exploitation pourra briser ce cercle vicieux de pauvreté et d’inégalités. Il est impératif de démanteler les monopoles hérités de l’époque coloniale, de repenser les circuits commerciaux, et de mettre en place une économie anticapitaliste, collectiviste et solidaire. Il ne s’agit pas seulement de mesures ponctuelles, mais d’une transformation profonde de l’économie dans les Dom-Tom dont chaque individu a besoin. Vive les luttes anticapitalistes, mais aussi les luttes antiracistes. Vivement l’anarchisme !
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Sources : https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/pourquoi-les-prix-des-produits-de-consommation-sont-ils-de-plus-en-plus-chers-en-martinique-1517597.html
https://cemoi.univ-reunion.fr/fileadmin/Fichiers/CEMOI/Publications/Lettre_CEMOI/Lettre-CEMOI-n__20.pdf
https://www.sudouest.fr/france/outre-mer/crise-dans-les-outre-mer-pourquoi-la-vie-est-elle-plus-chere-qu-en-metropole-21495358.php
https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/les-monopoles-economiques-en-guadeloupe-decryptage-1425122.html
https://www.liberation.fr/economie/crise-sociale-aux-antilles-pourquoi-les-prix-sont-ils-si-eleves-20240920_ZSA6GPNOLBCCTFMYOARBPC44DI/
https://www.tepp.eu/images/pdf/2023/inegalitesoutremersheritagehistoireinstitutionscoloniales.pdf
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