L'Indigné du Canapé

Coronavirus et nouvelle ère : perspective anarchiste (2/2)

Virus, épidémie, pandémie, confinement, armée, guerre, morts… Depuis quelques semaines, nous vivons un épisode digne d’un film de science-fiction. Cet épisode ébranle franchement les structures de ce monde et pourrait avoir – si l’on est très très optimiste – le potentiel de rééquilibrer le rapport de force qui existe entre un capitalisme de plus en plus libéral et inégalitaire, et une économie à l’équilibre entre un étatisme assurant tous les services publics de base, et un capitalisme permettant de « libérer les énergies », d’innover, de prospérer. Nous avons approfondi cette réflexion sur ces deux structures (capitalisme et communisme) de notre société moderne.
Lire ou relire la partie 1.

Désormais, allons plus loin, et affirmons que cette dualité – souvent présentée comme indépassable – doit être débordée, par la gauche évidemment, rapidement et radicalement. C’est ce que j’appelle sommairement une « perspective anarchiste ».
Voici la partie 2 : la perspective anarchiste.

Pour une reconquête de l’écologique sur l’industriel, du local sur l’étatique, du populaire sur le public

Cette période trouble nous permet, nous donne la chance, à tous, de remettre nos vieilles logiques au placard, de déconstruire nos évidences apprises, et d’imaginer un monde nouveau, dans tous les sens du terme. Révolutionnaire.
Car si on entend beaucoup parler d’une sortie de crise austéritaire (la bonne vieille recette ultra-libérale), si certains en retour réclament plus de services publics (la ligne de défense étatiste), peu s’essayent à une vraie révolution de la pensée, si imparfaite soit-elle.

Cette perspective, je la nomme « anarchiste », car elle combine anticapitalisme, communisme et égalitarisme, critique de la logique étatiste-nationaliste, localisme politique et écologie (pour ceux qui auraient une vision biaisée de l’anarchie, je vous invite à aller lire cet article : 10 réponses à 10 clichés sur l’anarchie.)
Oui, certains éléments sont dans le désordre. Oui, il manque des idées, il y a des angles morts, sur les modes de production écologistes (pas assez développées), sur les relations internationales et la mondialisation, sur la police et la justice anti-autoritaires… Oui, c’est juste une ébauche, oui c’est imparfait. Ce sont des graines jetées dans le vent, avec l’espoir que quatre, huit, cinquante, 300, 2000 d’entre vous les attrapent, les multiplient, les relancent…

Cette vie confinée ouvre un abîme sous nos pieds, et nous montre que notre monde tient sans cette effervescence quotidienne de fourmis obnubilées à la tâche, sans cet excès de zèle et de pollution, sans ces soumissions en forme de surproductions et de surconsommations… Un monde qui tient par exemple sans jobs à la con (qu’ils soient mal ou ultra-bien payés).

Cela nous invite à nous poser la question de la valeur véritable de ce que nous faisons : comment peut-il être possible qu’un individu bénéficie d’un revenu de 10 000 euros (ou bien plus) pour concevoir un plan marketing ou blablater à la télévision, quand d’autres n’en gagnent que 1 200 pour faire pousser des fruits et légumes, ou pour soigner leurs congénères. La valeur d’usage (l’utilité) des métiers des seconds est bien plus importante que celle des premiers et pourtant, la valeur d’échange de leurs activités (incarnée par le salaire) est bien inférieure (idée développée par Proudhon, et un peu plus tard plus rigoureusement par Marx). Eh bien, pourquoi ne pas recorréler les valeurs d’usage et d’échange ? Faisons en sorte que les métiers utiles soient les mieux rémunérés !

Révolutionner la valeur, relocaliser le travail, penser la production en termes écologiques

Cela ferait mécaniquement baisser le nombre de métiers à la con. Dans une logique capitaliste (où il faut faire du profit, et donc améliorer la productivité pour quelques-uns au détriment du bien-être de la masse), cela augmenterait le nombre de chômeurs. Mais nous sommes en train d’imaginer une porte de sortie à ce modèle. Loin des lois d’offre et de demande, cela pourrait aussi permettre à plus de personnes de se partager les mêmes tâches, ce qui aurait pour effet de diviser le nombre d’heures de travail et de diviser les peines. Evidemment, la solution la plus viable, écologiquement et humainement est la seconde.

Cela permettrait également de relocaliser le travail. Si l’on se recentre collectivement sur les métiers importants, utiles à la vie en commun, si l’on partage le travail, alors un seul agriculteur cultivant en intensif (et avec pesticides et OGM éventuellement) à 100km de là ne sera plus la solution optimale pour fournir à une ville de petite taille telle ou telle production. Il faudra alors multiplier les petites exploitations, à proximité, cultivant à l’opposé de la monoculture en respectant la faune et la flore eau maximum (d’autant plus qu’elles seront proches des lieux d’habitation). Cela favorisera aussi les circuits courts, mettant un coup d’arrêt aux importations venues du bout du monde (adieu les fraises en hiver et les clémentines en été).
Il faudrait remettre sur pied des petits ateliers pour produire des objets du quotidien, des vêtements, des fours, des couverts, des meubles… Il en faudra, du monde, pour réduire durablement les allers-retours incessants de porte-conteneurs monumentaux de par le monde. Bref, un mode de production local-écologiste est à portée de main, si l’on remet de la valeur réelle dans notre monde, si l’on réencastre l’économique dans le social, si l’on remet le bien-être au centre de nos vies.

Lire aussi : Anarchie et Décroissance 1 et Anarchie et Décroissance 2

N’oublions pas aussi que refusionner valeur d’usage et valeur d’échange, c’est empêcher la spéculation. La Bourse, et la finance en général, ne méritent pas de connaître le monde de demain. Des banques ? Pourquoi pas, mais collectivisées afin d’assurer un service de dépôts, et éventuellement d’octroyer les crédits (sans intérêt ?) utiles à la collectivité (pour financer la construction d’un hôpital, d’une école, d’une bibliothèque, etc.). On pourrait même imaginer un monde sans monnaie, cet outil de domination de la bourgeoisie financière ! Néanmoins, la monnaie a de vrais atouts, et il peut paraître plus stratégique de soustraire certains biens et services de la logique marchande (soustraire aussi la création monétaire au privé, je le redis) que de supprimer purement et simplement un outil que l’on pourrait mettre au service du bien commun. Cela s’entend dans la mesure où les inégalités monétaires sont abolies, évidemment, et où le caissier ou l’infirmier gagnent autant que celui qui veut s’adonner à la décoration ou celui qui est fondu de théâtre ou de musique. Et où l’héritage – capitaliste comme monétaire – n’a plus lieu d’être non plus, puisque l’accumulation de profit n’est plus.

On l’a vu, on pourrait imaginer un monde où le travail n’est plus la pierre angulaire de la vie humaine. Où l’école n’est plus le lieu d’apprentissage contraint des codes et comportements utiles pour s’intégrer au monde du travail docile et rémunérateur, mais plutôt le lieu de la découverte, de l’émancipation critique, du temps libéré, et des apprentissages démultipliés.
Où la vie d’adulte ne se limite pas à travailler des dizaines d’heures par semaine pour payer un loyer et de quoi subsister, mais où le temps peut et doit aussi être utilisé à penser, à s’engager, à faire vivre ce nouveau monde qui mettrait la collectivité et la solidarité au centre.

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Biens et services, travail et politique collectivisés

Trois outils (parmi tant d’autres) pour penser cette nouvelle société :
1/ On l’a déjà évoqué, mais afin que le capitalisme cesse de grignoter l’humanité, il faut faire sortir certains biens et services de son giron : nous considérons que la santé (dont l’alimentation), l’éducation, le logement (forme de sécurité), sont des prérequis minimums à une vie digne. Ainsi, il faudrait ajouter l’alimentation et le logement à la liste des biens publics, non marchands et non spéculatifs. On pourrait très bien imaginer une société où se loger et manger n’est pas une mission, mais un droit élémentaire, et respecté, ce qui n’est pas le cas dans le capitalisme. C’est une manière de remettre en cause, très simplement, le droit à une propriété privé accumulative et spéculative (source de revenus sans travail), pierre angulaire de nos sociétés capitalistes depuis la Révolution française. En abolissant cette propriété privée (qui est « du vol », selon la formule proudhonienne), même avec un temps de travail modeste, même avec un revenu modeste, l’on peut vivre dignement car l’on n’a plus a dépenser des fortunes pour son logement (une possession, pas une propriété privée capitaliste) et sa nourriture.
2/ Le revenu doit être décorrélé du travail capitaliste : si l’on conserve la monnaie et les revenus, alors, tout travail mérite revenu, même le travail domestique. Ainsi, le chômage n’existe pas, et n’est plus un outil de domination de la bourgeoisie (les fameuses armées de réserves, permettant de faire jouer les salaires à la baisse quand la demande d’emploi est forte).
Evidemment, dans une logique collective, on pourrait aller plus loin et considérer que certains métiers n’ont plus lieu d’être, celui de personnel d’entretien par exemple (et puis, qui pourra se payer le service d’une autre personne si tout le monde obtient à peu près le même revenu ?). Alors, tout le monde pourrait à tour de rôle participer à l’entretien des lieux publics (écoles, rues, etc.) durant son temps libre (on le rappelle, infiniment supérieur à ce qu’il est aujourd’hui) ce qui justifierait un revenu pour tous (puisque tout le monde participerait à des tâches pour le bien de tous).
3/ Toujours dans cette logique collective, le temps libre gagné sur le temps capitaliste de nos sociétés actuelles pourrait et devrait également servir à faire du politique, ensemble, concrètement. La représentation n’existe pas à l’échelle d’un Etat, la démocratie n’existe pas quand elle est représentative et sans garde-fou : avec (beaucoup) plus de temps à disposition (moins de transports, moins de travail), et une vie à l’échelle locale revalorisée, on pourrait imaginer une vraie organisation politique de nos vies :
la mise en place de l’autogestion (décisions collectives sur l’organisation générale de l’entreprise ou de l’association) comme norme dans les lieux de travail déjà. Car qui mieux que les travailleurs sait ce qui est nécessaire pour une production utile, et une vie digne (en tant que créateur de valeur, et citoyen voulant vivre une vie digne ?
– de même, la mise en place d’un « municipalisme libertaire » afin de faciliter les prises de décisions collectives au niveau politique, dans les villes de plusieurs milliers d’habitants par exemple. Pour ce faire, on imagine sans mal des formes d’élections (par tirage au sort par exemple, et l’impossibilité de cumuler ou de renouveler un mandat), avec des représentants sous mandat impératif (élus sur base d’un programme précis, et destituables instantanément s’ils ne l’appliquent pas).
(Note : la plupart de ces idées s’inspirent, entre autres, du « municipalisme libertaire » de Murray Bookchin ; en source, un article sur sa pensée).
Ainsi, tout le monde utiliserait son temps libre et pour soi et pour les autres, mais personne – au niveau économique et politique – ne pourrait prendre de décision autoritaire pour son seul bénéfice. Les règles politiques (dans la ville comme dans l’entreprise) seraient faites pour profiter à la collectivité et uniquement à elle.

N’oublions jamais que ce qui profite au collectif profite toujours à l’individu, et que les espèces qui s’entraident sont celles qui résistent le mieux, notamment aux catastrophes, ainsi que l’a montré Kropotkine dans son oeuvre L’Entraide.

Ainsi, le temps ne serait plus contraint par l’économique, mais deviendrait le lieu d’une expression sociale et politique, voire culturelle, nouvelle. La coordination entre les différentes collectivités locales pourrait se faire par la participation à un système fédéraliste. Ainsi, l’autonomie individuelle et locale resteraient garanties.

Afin de maintenir l’ordre au sein de la collectivité, ou entre une collectivité et une autre, ou encore entre la fédération de collectivités et des Etats extérieurs (peut-être soutenus par les ex-dominants capitalistes de la société nouvellement créée), on pourrait imaginer là encore un tirage au sort de « policiers » d’un nouveau genre. Ce tirage au sort serait régulier, avec révocation possible, afin d’empêcher tout abus de pouvoir (comme pour nos « politiciens » tirés au sort, du reste, ou encore nos « juges », eux aussi potentiellement tirés au sort et révocables). Les termes entre guillemets sont à réinventer, évidemment.

Il ne faut pas croire qu’il n’y a ni maintien de l’ordre, ni droit ni justice dans les pensées anarchistes. Au contraire, l’anarchie est un concept où l’ordre et la justice sont tenus en haute estime. Seulement, cet ordre, cette justice, seraient le fruit d’une éducation et d’une émancipation de la logique individuelle, de la propriété individuelle, du profit individuel, et s’appuierait sur des textes de « loi » à partir desquels on affirmerait qu’aucun individu ne peut s’accaparer un pouvoir lui permettant de dominer les autres, que ce soit sur des bases intellectuelles, financières, politiques, de naissance, de nationalité, d’origine ou de religion, de groupe social, etc. Tous différents, tous égaux…

Et maintenant, l’entrevois-tu, ce nouveau monde dont tout le monde parle mais que personne n’ébauche ?
J’ai essayé, j’ai essayé de semer. A vous d’essaimer, maintenant !

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Sources :
– https://federation-anarchiste.org/?g=FA_anarchisme
– http://www.socialisme-libertaire.fr/2015/07/argent-et-anarchisme.html
– https://www.revue-ballast.fr/le-municipalisme-libertaire
-quest-ce-donc/
– http://www.autrefutur.net/Maintien-de-l-ordre-en-anarchie

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