L'Indigné du Canapé

Les « faizeuses » au « dizeur » : Lettre ouverte des Petites Mains à Alexandre Jardin

Voici une contribution signée par le Collectif Bas les Masques ! (en réponse à l’appel d’Alexandre Jardin intitulé « masques solidaires ») :

« Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire, certes. Nous ne luttons ni contre une armée, ni contre une autre nation. Mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable, qui progresse. Et cela requiert notre mobilisation générale. »
Emmanuel Macron, 16 mars 2020

Ainsi donc, nous sommes entrés en guerre dans notre beau pays de France, contre un virus qui contamine et tue nos soignants en première ligne. Seul rempart contre l’ennemi qui les menace : des masques de protection. Mais on a beau chercher, il n’y en a pas, la pénurie sévit partout, on panique. Que faire ?

Partout en France, mues par le même élan, une armée de couturières se lève et remonte ses manches. Elles sont confinées et doivent se débrouiller avec ce qu’elles ont sous la main, vêtements, draps, chutes de tissu. Des milliers de femmes de tous horizons, professionnelles ou non, sortent leur machine à coudre pour « dépoter » du masque. Elles veulent aider, protéger, contribuer à l’effort général en ces temps inédits et anxiogènes. Elles ne demandent rien à personne, elles font ce que leur cœur, et leur devoir de citoyenne, leur commande.

Vous, Monsieur Jardin, prenez conscience comme nous tous, que l’heure est grave et qu’il faut agir. Fin avril, soit un mois plus tard, vous prenez une initiative pleine de bonne volonté : mettre en relation les personnels soignants qui ont besoin de masques et les couturières qui peuvent en fournir. Elles n’ont pas de tissu, d’élastiques ? Qu’à cela ne tienne, on leur en fournira. Elles ne peuvent pas se déplacer ? On les livrera. Elles ne peuvent pas distribuer les masques ? On s’en occupera !

La plateforme Masques Solidaires, créée en partenariat avec l’AFNOR, est née. On fournit un patron, des indications techniques, on invite les couturières à participer à cette opération. Vous faites la promotion de ce mouvement partout, à qui veut l’entendre.

Les petites mains sont à l’œuvre. Salons, cuisines, chambres sont aménagées en ateliers de couture. On s’organise. On y arrivera. C’est merveilleux, si porteur d’espoir, si généreux de notre part. C’est exactement ce que l’on attend de nous dans un moment de crise pareil : de la solidarité, de l’engagement citoyen.

Sauf que… nous ne sommes pas dans l’un de vos romans, la réalité est toute autre. Cette initiative, partant d’un bon sentiment indéniable, engendre des effets pervers et destructeurs parmi les couturières.

Les structures médicales demandent des masques par la dizaine voire la centaine. Puis vient le tour des entreprises. Puis les communes, que vous avez invitées à solliciter une main d’œuvre bénévole dotée d’une incroyable force de travail.

Nous avons cousu, Monsieur Jardin, de l’aube à la nuit, tous les jours, sans repos, depuis le début de la crise sanitaire.
Nous avons usé nos mains, nos corps, et nos machines, pour fournir le plus grand nombre. Jusqu’à l’épuisement.
Nous avons, sans revenus, donné encore et encore. Toujours plus .
Nous avons pallié une grave pénurie par notre travail quotidien.

Oui, du travail. C’est bien ce dont il s’agit. Le même travail qui, d’après le dicton populaire, mérite salaire.
Et l’on continue à nous demander ce travail gratuitement, alors que les masques sont disponibles partout sur le territoire, en grande distribution, dans les commerces de proximité, dans le métro. Les entreprises partenaires bénéficient de déductions fiscales et peuvent revendre nos masques confectionnés avec soin.

On vend donc le fruit de notre travail sans penser que pendant ce temps, nos activités professionnelles de créatrices, intermittentes, étudiantes, sont arrêtées jusqu’à nouvel ordre. À quel moment vous êtes-vous posé la question de la survie de nos petites entreprises (nous sommes pour la plupart à notre compte) ? De quel droit vous permettez-vous, sous prétexte de solidarité, de casser toute une profession qui ne fait que répondre à la demande, et qui demande juste la simple rétribution du travail fourni ?

Vous rendez-vous compte que 20 000 bénévoles, c’est 20 000 emplois perdus ? Les gros industriels qui soutiennent l’opération auraient pu faire des dons. Nous sommes 97,4% de femmes couturières et c’est normaliser le fait qu’on attend de nous d’aider gratuitement au détriment de notre profession toute entière.

Vous avez profité de nous, Monsieur Jardin, vous nous avez fait du chantage à la solidarité, et avez fait de ce bénévolat une nouvelle monnaie.

Aujourd’hui nous vous disons NON. Cessez cette mascarade qui n’a de solidarité que le nom. Ces masques sont certes gratuits, mais à quel prix ? Rémunérerez-vous les couturières avec les droits d’auteur de votre livre à paraître début juin 2020 ?

« Vous causez, nous cousons. Laissez-nous faire ! On a déjà commencé… »
Christie Bellay, Porte-parole du Collectif Bas les Masques ! France, 26 mai 2020

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