Médine ne passe pas inaperçu. Imposant, barbu, blaze de ville sainte, il a tout pour être mis dans une case, et il en joue, d’ailleurs. Pourtant, ce Franco-Algérien né au Havre il y a plus de 30 ans a la sublime manie de s’extraire des déterminismes qu’on voudrait lui coller à la peau pour voler de ses propres ailes, loin de toute conformité et de tout cliché. Mais va-t-il parfois trop loin, au risque de se les brûler ?
Iconographique et symbolique depuis son nom et ses surnoms jusqu’à son art, en passant par ses thèmes de prédilection, Médine fait peur à une majorité de journalistes et à cette intelligentsia qui n’accepte que ce qui la met à l’aise intellectuellement, et rien de ce qui l’ébranle sur ses certitudes. Caricaturé comme « rappeur musulman », parfois même comme « extrémiste », on lui a plusieurs fois prêté l’intention de pervertir la jeunesse, de l’appeler au Djihad, de la confiner au communautarisme et à la haine de l’autre. Disons-le haut et fort, dès à présent : cela est trop grave pour être pris au sérieux. Mais pour accepter et comprendre l’art de Médine, il faut être méticuleux, patient, et vouloir lire entre les lignes.
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Médine est de plus en plus conscient de ce qu’il véhicule pour jouer le jeu du pompier pyromane.
« Ce que je suis parle tellement fort, qu’on en oubliera ce que je dis »
Ce qu’il aime faire, c’est tendre des pièges aux feignants, à ceux qui ont les idées courtes et la rancoeur toujours à portée de voix : ce n’est pas par hasard qu’il a été épinglé, dénigré par des « penseurs » (qui n’ont assurément pas lu ses textes et vu ses interviews) comme Alain Finkielkraut et par toute cette frange élitiste/réactionnaire de la France qui est toujours aux anges quand il faut dénigrer les musulmans, les jeunes, les quartiers populaires et les pauvres qui y habitent. Mais qu’on attend toujours lorsqu’il est question de comprendre les causes de nos maux, de nos fractures, de nos injustices…
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Médine piège ceux qui sont dans le fantasme et qui, de fil en aiguille, le posent comme un danger public. Mais il piège aussi ceux qui sont dans le fanatisme, ceux « qui lui ressemblent » (comme il le dit) et qui croient voir en lui une sorte de messie. Non, Médine n’est « d’aucune chapelle, d’aucun parti, d’aucun gauchisme », il est juste un homme qui s’éduque en rime et partage ses réflexions.
Son rap est éducation populaire, émancipation, unité
L’Arabian Panther griffe les thématiques actuelles avec style, mais surtout avec pudeur, et toujours, toujours dans la nuance. Rien n’est blanc ou noir chez Médine, chez lui existent au moins 50 nuances de gris. Rien n’est jamais simple, comme voudraient le faire croire ceux qui le critiquent, lui ou sa musique.
« Un mensonge répété 1000 fois, ne deviendra pas une vérité »
Quand lui se définit ou dépeint la société autour de lui, que ce soit celle des banlieues, des salons cossus, des extrêmes, ou d’ailleurs, c’est toujours avec contraste, pour surprendre, que ce soit ceux qui vont l’adorer ou ceux qui vont le détester. La nuance, toujours. Le doute et le changement sont de vrais piliers dans le travail de cet homme qui ne veut jamais se croire arrivé au bout d’un cheminement de pensée.
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Rappeur indépendant, populaire, provocateur, Médine surprend, choque, parfois dérange. A écouter ou à lire ses textes plus attentivement, à l’écouter parler en interview, on découvre vite le Médine sage, réfléchi, celui qui sait se faire pédagogue et rassembleur. Et pourtant, parfois, on se demande ce qui le pousse parfois à aller toujours plus loin, et parfois trop loin.
Un chercheur de vérité qui ne maîtrise pas toujours tout
On ne pourra pas lui reprocher de critiquer son pays. C’est salvateur, surtout dans notre époque qui se totalitarise. Et qui ne le ferait pas avec l’audience dont il jouit, et cette chance qu’il a d’être écouté par une large portion de la jeunesse, qu’elle soit bobo ou populo, qu’elle soit de province, de quartier ou de centre-ville…
On ne pourra pas lui reprocher d’aborder la religion dans ses morceaux : ce serait refuser que la France est plurielle, et abrite sous son aile plusieurs cultures, plusieurs cultes, et il faut en parler. Surtout quand une certaine structure sociale encore raciste, paternaliste et sexiste empêche toute une frange de la population d’obtenir des espaces de parole et de parler en son nom.
On pourra peut-être lui reprocher sa propension à faire polémique. Mais c’est aussi l’un des rares moyens pour les sans-voix de se faire entendre : faire polémique, c’est faire le buzz, c’est faire parler les bavards. Et c’est parfois nécessaire pour faire passer des messages importants. On pourra en plus arguer qu’il utilise de moins en moins ce stratagème… de peur de véhiculer un message dangereux par inadvertance, en étant pris au premier degré, notamment par les jeunes qui l’écoutent comme une référence. Mais attention.
Ce qu’on pourra lui reprocher de plus grave, c’est d’être parfois dans la confusion. Médine cherche et communique avec richesse, c’est indéniable, et ses prises de parole dans les médias sont souvent belles et salutaires, mais dans ses textes, il lui arrive de convoquer des figures sombres qui ne lui font pas honneur.
Roi du name dropping, il n’a aucun mal à évoquer Morsi, Desmond Tutu, Erdogan, dans un morceau (Grand Médine) où il va aussi parler de lutte des classes tout en se disant n’appartenir à aucun gauchisme. Heu ? Là, on peut dire que sa provocation devient chaotique car elle n’a plus aucun sens politique (a priori). Et cela n’est pas sans danger pour une partie de la jeunesse prête à prendre pour modèle intellectuel un rappeur comme lui, même s’il rappelle souvent qu’ils ne doivent pas le faire.
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Pour pousser l’idée de la confusion un peu plus loin, Médine n’a aucun mal à participer à la fête de l’Huma et à assister à une conférence de Kemi Seba dans la foulée… incohérent vous dites ? Certes. Mais rappelons aussi que Médine n’est pas politicien, il travaille plutôt comme un journaliste, comme un chercheur qui va voir de ses yeux et écouter de ses oreilles pour se faire sa propre opinion. Périlleux et salutaire pour lui. Dangereux voire suicidaire pour son auditoire.
Après, comme le dit Médine lui-même, n’écoutez pas son album, réécoutez-le… Et écoutez d’autres artistes, d’autres penseurs, d’autres opinions, pour être une personne libre et émancipée ! Voici quelques sons qui permettent de se faire une idée de la richesse des thématiques et des angles choisis par le rappeur havrais.
Démineur
Speaker Corner
Home (feat. Nassi)
Protest Song
L’inspiration des plus grands et la quête d’éternité
Dans les artistes que Médine apprécie, on sent une ouverture d’esprit immense, n’en déplaise à ses détracteurs : clairement supporter des rappeurs actuels comme Kery James ou Youssoupha, il voue également une admiration à Keny Arkana, et il apprécie aussi MC Solaar… Mais peut surprendre en annonçant adorer un groupe comme PNL. Ses autres références musicales et/ou littéraires se nomment Victor Hugo, Verlaine ou Brassens. Éclectique, riche, pluriel, tel est Médine.
Engagé (même s’il n’aime pas être réduit au cadre du « rap engagé ou conscient »), Médine continue de s’investir dans la vie de quartier, la vie associative, notamment à travers un club de sport dans sa ville natale. Il a aussi milité suite à l’affaire Adama Traoré, et ne s’interdit pas de le refaire, bien au contraire. Pour lui, c’est un minimum.
Éduqué au rap, éduqué par le rap mais pas uniquement, loin de là, Médine n’a pas de prétention, si ce n’est celle de ne pas devenir un mauvais professeur pour les oreilles qui écoutent ses refrains. Et c’est cette humilité qui lui garantira – on l’espère – d’aller toujours plus loin, malgré les détracteurs.
« J’suis comme la fleur, celui qui m’écrase aura ma bonne odeur »
En espérant que cette peinture d’un homme complexe dans notre époque trouble vous donne envie d’aller en écouter un peu plus, pour vous faire votre propre opinion.
Car s’il y a bien un message à retenir dans les textes du professeur Médine, c’est celui-là : lisez, croisez les sources, apprenez, débattez, mais surtout, surtout, ne croyez pas sur parole quiconque vous prêche telle ou telle vérité.
Longue vie à la culture rap, dans le sens le plus noble du terme, et à laquelle contribue activement le rappeur du Havre !
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