L'Indigné du Canapé

Santé, éducation, transports : non à la variable humaine dans un monde tout-économique !

Les invariants sont les avaries, économiques et sociales. Et toujours, la variable est humaine.

À la RATP, on n’a plus le luxe de s’encombrer, depuis des années déjà. Chaque jour, un message est retransmis par les haut-parleurs, d’une voix tantôt humaine, tantôt automatique :
« Le trafic est perturbé en raison d’une avarie matérielle »…
« Perturbé en raison d’un problème technique en gare de… »
« Perturbé suite à un problème électrique »…
« Suite a un accident grave de voyageur, le trafic… »

Ces annonces sont devenues monnaie courante à Paris et sa banlieue, notamment sur les lignes A et B du RER. Et même si ces situations sont insupportables, mon propos ici n’est pas de clouer au pilori les services ferroviaires soi-disant avantagés et privilégiés, mais de mettre en avant le vrai phénomène, celui qui éreinte et détruit véritablement les services publics.

C’est la politique d’austérité constitutionnalisée par les Traités européens et totalement adoptée (embrassée même) par nos différents présidents depuis 20 ans qui favorisent cette situation. Il est inscrit dans ces Traités (article 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et article 121 du TFUE – qui prévoit chaque année les « grandes orientations des politiques économiques ») – qu’il convient « d’intensifier la concurrence dans un certain nombre d’industries de réseau : typiquement, les télécommunications, les énergies et… le rail. Entre 2020 et 2023, les lignes TGV et TER de la SNCF devront être ouvertes à la concurrence.

Les mots d’ordre : marché, concurrence, efficience, rentabilité

L’idée est un contresens économique : les monopoles naturels comme les réseaux (ferroviaires, électricité) ont des coûts d’infrastructure très élevés, et des coûts d’utilisation faibles et même décroissants. C’est-à-dire qu’à chaque utilisateur supplémentaire, le coût baisse, c’est le principe de l’économie d’échelle. Il est donc aberrant d’y appliquer une logique de concurrence.

Malgré tout, dès 1997, la gestion du réseau (le rail) et des transports (le train) a été découpée, laissant la gestion de l’infrastructure (non rentable) au public, et organisant la future gestion de la partie rentable (usagers) au privé. Mais privatiser la partie « usagers » aura pour seul effet de faire peser tout le poids des coûts d’infrastructure (le réseau) au public, et ne permettra même pas spécialement de faire baisser le coût des billets. C’est la fameuse logique consistant à privatiser les bénéfices et à nationaliser les pertes.

Historiquement, le scandale de la dette de la SNCF remonte même bien plus loin. Avant la Seconde guerre mondiale, plus de 60% des transports de marchandises (le fret) étaient effectués par le rail : c’était moins cher, moins polluant, et surtout, cela permettait de « rentabiliser les lignes », même les plus petites…

 
Je vous invite à regarder les 13 premières minutes, brillantes !

Depuis 40 ans, on a assisté à un recul du fret (moins de 10% aujourd’hui) au profit du transport de marchandises par la route : c’est plus cher, moins écologique, mais c’est un choix politique. On comprend donc que le rail ne meurt pas de mort naturelle : il est méthodiquement affaibli, notamment par l’intronisation à la tête de ces services publics de véritables « liquidateurs » (on a beau les appeler « réformateurs », personne n’est dupe) qui viennent imposer les mesures libérales décidées en haut-lieu, réduire les financements, précariser les emplois, licencier, etc. et qui partent souvent avec un petit pactole pour le travail accompli.

« Qui veut tuer son chien l’accuse d’avoir la rage ». Moins les services fonctionnent, plus ils font de mécontents. Et plus il y a de mécontents, plus la réforme est accueillie avec bienveillance, même si elle n’a rien de positif à proposer, sauf aux marchés financiers !

Selon la logique ultra-libérale, dominante depuis les années 80, il faudrait que l’Etat se contente de mettre en place des règles donnant les pleins pouvoirs au marché : il ne doit surtout pas participer à l’économie car il dépenserait trop, et « n’importe comment » (sous-entendez, de manière non rentable). Il faudrait donc laisser la « Main Invisible » régner et adapter à la perfection les désirs égoïstes de tous vers une cohésion collective idéale. Sauf que rien n’est plus faux que cette mythologie « smithienne, et on le voit bien depuis de nombreuses décennies.

Lire aussi :  FMI et Banque mondiale : un bilan désastreux (et un plaidoyer pour leur remplacement)

Considérer que seul ce qui est rentable est bon (comprenez, nécessaire et indispensable à la société) est une aberration. Car cela signifie que tout ce qui n’est pas rentable est voué soit à disparaître, soit à coûter un bras (et donc à être réservé à une élite, les autres se contentant d’un médiocre ersatz de service). Ici, on parle de l’éducation, la santé, les transports, bref, les services les plus universels et donc les plus utiles !

C’est pourtant la politique libéral-flexible qu’est en train de nous fomenter ce gouvernement dont le leader n’est autre qu’un ex-banquier, moulé par les désirs des plus grands idéologues néoclassiques.

Les externalités négatives d’un service public géré comme le privé

Les absences de moyens économiques, techniques, humains, n’ont pas pour seule conséquence l’affaiblissement des services publics concernés et donc leur mauvaise qualité au jour le jour. Dans ces services, des femmes et des hommes aussi sont affaiblis, voire détruits.

Les taux de dépression, de burn-out, de suicide, sont au plus haut à la SNCF, à la Poste, dans les maisons de retraite, dans les hôpitaux… Baser le fonctionnement des services publics sur le seul critère de la rentabilité économique (le fameux « L’Etat dépense trop ») génère des externalités négatives au niveau humain. Et même si ça n’entre pas dans les chiffres immédiats, ça coûte bonbon sur tous les plans : ça coûte des vies, des soins, des médicaments, de l’énergie, de la motivation, du bonheur. Les acteurs du public sont encore plus impactés que ceux du privé par la pression de la rentabilité, car comme leur activité n’est pas rentable de base, on va leur en demander encore plus, toujours plus, et même plus, de manière irrationnelle !

Cette catastrophique gestion de l’humain dans les établissements publics coûte également à un niveau purement économique, sans même parler des impacts de soins à long terme (et là, les idéologues ultra-libéraux devraient tendre l’oreille). Des services de transport qui fonctionnent mal, c’est chaque jour des dizaines de milliers d’usagers qui arrivent en retard (donc moins efficaces), ou qui partent plus tôt (donc qui dorment moins, donc qui sont, à terme, moins efficace). C’est aussi des marchandises qui n’arrivent pas en temps et en heure ; c’est, prochainement – si la fermeture de milliers de kilomètres de lignes se confirment – des personnes et des zones géographiques isolées, qu’on laissera mourir à petit feu car il ne sera plus intéressant pour aucune entreprise d’y investir… C’est tout un pays qui se grippe (économiquement, socialement) quand on ne circule plus convenablement en son sein.

Ceci est vrai pour les transports, mais c’est tout aussi vrai dans l’éducation ou la santé.

Mettez plus de professeurs dans les classes, face aux élèves : certes, cela coûte plus cher, à court terme. Mais ne pensez-vous pas que ce qui se fait actuellement, c’est-à-dire déstructurer leurs conditions de travail, ne fait qu’affaiblir les résultats des élèves, leur niveau de formation, leur esprit critique et coûte finalement beaucoup plus (économiquement, socialement, intellectuellement), et à toute la communauté, sur le long terme ? C’est pourtant évident.

De la même façon, il paraît bien plus judicieux de renforcer les secteurs de la santé, quitte à creuser un peu le déficit aujourd’hui, pour ne pas le payer au centuple demain. A l’heure actuelle, les conditions de travail, de soin, de réception, dans les hôpitaux, maisons de santé, EHPAD, établissements psychiatriques, etc. sont calamiteuses. Plutôt que de demander toujours plus d’économies à ces établissements d’utilité publique, ne serait-il pas plus judicieux de renforcer leurs capacités, afin de leur permettre de faire plus de prévention, et ainsi de faire d’énormes économies sur les soins pour les 10, 20, 30 prochaines années ?

Toute cette problématique soulève la question de notre rapport à la croissance, à la rentabilité. Dans les services publics, le but n’est pas d’être rentable. Le but n’est pas de « faire le plus d’admissions » dans le temps le plus court possible. On n’est pas au McDo. Le but reste, dans l’idéal, est de ne pas enregistrer d’admission du tout. Ce serait ça, le progrès !

On ne le dira jamais assez : les services publics, bien que non rentables en eux-mêmes, génèrent des externalités positives. Ils doivent donc être sauvegardés, et même chouchoutés. Leur destruction n’engendre que de l’anomie, c’est à dire de la désintégration sociale, du désordre, de la rage : et donc, en contrecoup, toujours plus de coûts ! Le tout, c’est de savoir regarder un peu plus loin que son porte-monnaie, que son compte en banque, que son PIB ou que les chiffres de la dette. Il s’agit de comprendre ce qui permet à une société de s’émanciper, de grandir, de s’améliorer. Mais ça, les idéologues libéraux ne sont pas capable de le penser. Leur logiciel est celui qui voit tout avec des lunettes économiques. L’humain est un « agent », qui a un coût, et un rapport coûts-bénéfices. C’est tout.

Ce ne sont pas nos lunettes. Et nous vous invitons à tenter de sortir de cette matrice du « tout-économique ».

Lire aussi :  La dette, élément clé de notre soumission au système économique

Ne pas se faire avoir : l’ennemi, c’est le libéralisme, pas les services publics

Le problème de ces frictions sur le service public, c’est qu’elles deviennent rapidement épidémiques. On a tous besoin des services publics, et quand celui-ci ou celui-là se met en grève, cela nous impacte tous. Cette dépression des services publics, les soucis d’horaires, les manques de moyens humains, viennent nourrir un certain ressentiment chez les citoyens en général. Et indirectement, cela vient déprécier l’image des services publics, qui finalement pâtissent avant tout d’une politique entièrement dévouée à l’optimisation du libéralisme économique. C’est tout l’objectif de la plupart des éditorialistes des chaînes de télé : montrer le doigt (les usagers en colère) pour qu’on oublie de regarder la lune (les fossoyeurs de services publics).

C’est aussi tout le propos des soutiens d’En Marche, qui ont trouvé une nouvelle astuce étymologique : dénoncer toute résistance à l’ultra-libéralisme et à la destruction des solidarités comme un combat rétrograde, dépassé, marotte d’un soi-disant Vieux-Monde. Mais ne se rendent-ils pas compte que la politique qu’ils défendent, c’est un retour à la période antérieure à la naissance des Etats-Providence, c’est-à-dire la période 1870-1915 ?

Ne se rendent-ils pas compte que la politique qu’ils défendent, c’est celle orchestrée par Thatcher et Reagan dans les années 80 ? Qu’a-t-elle de moderne, cette politique ? Les Américains rêveraient d’avoir nos hôpitaux et notre système de Sécurité Sociale, les Anglais regrettent amèrement d’avoir privatisé leurs transports en commun… Pourquoi suivons-nous cette route ? Ou plutôt : pour qui ? Pour quels avantages ?

Les grandes entreprises qui vont récupérer ce nouveau marché ? Les lobbyistes de la route, qui, faisant fi du réchauffement climatique, tirent avantage de la privatisation ? Les ultra-libéraux, qui veulent transformer le monde en marché géant pour continuer à croire à leur mythe de la croissance infinie, et qui voient dans les services publics une manne intéressante (bien que destructrice au niveau humain et court-termiste) ? Ou encore les marchés financiers, derniers maillons de la chaîne, qui vont pouvoir faire payer des intérêts bien supérieurs à une entreprise privée qu’à l’Etat ?

Lire aussi : Les vrais responsables de la misère sociale (nos ennemis) sont…

Ce qui est certain, c’est que nos avantages, en tant qu’humains, que travailleurs, qu’usagers, ne sont pas pris en compte par ce capitalisme libéral et financier. Pour eux, nous ne sommes que des numéros. Mais nous avons le nombre et la force. Alors, tenons bon !

Et pour terminer, voici 10 idées pour un plan B – social et écolo – pour la SNCF !

 

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Sources : BastaMag, Alternatives Economiques, Politis, Huffington Post, solidaritesetprogres,

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