Je n’aime pas parler de politique politicienne, de ces professionnels en costume qui se disputent sur des chiffres – auxquels ils font dire ce qu’ils veulent -, qui augmentent leurs salaires mais refusent de penser aux êtres humains qu’ils sont censés aider du mieux qu’ils peuvent. Mais la philosophie politique, les philosophies politiques ont tout mon intérêt.
Rapidement, j’ai bien compris qu’historiquement, les idées de justice sociale, de liberté, étaient portées par ce que l’on appelait sur l’échiquier politique « la gauche », le socialisme et le communisme des premières années, l’anarchisme. Mais aujourd’hui, si les termes restent un peu figés, la réalité est tout autre.
Il devient difficile de se positionner. Comme je le disais dans un article un peu intime, si vous voulez me placer sur un échiquier politique, s’il-vous-plaît, ne me mettez nulle part. Cela n’a plus aucun sens pour moi. Les nouveaux prophètes clament être nationalistes par tolérance de l’autre, la gauche traditionnelle fait la politique de la droite et les extrêmes s’attirent (même si certaines de leurs idées restent très opposées, et heureusement).
A la gauche de la gauche justement, où mon cœur a malgré tout ses préférences, les difficultés sont énormes. Les belles idées sont reprises par une extrême droite décomplexée qui pioche allègrement dans les références révolutionnaires pour convaincre les foules fatiguées et inattentives, et les nouveaux penseurs altermondialistes semblent parfois à la limite de faire le grand écart, au grand dam des vrais humanistes qui croient – encore – en la justice sociale et en un monde plus libre et donc meilleur.
Alors, comment les révolutionnaires de gauche peuvent-ils convaincre à nouveau, persuader qu’ils ont les meilleures idées pour des lendemains qui chantent, loin des bottes et des nations closes aux visages partout identiques ?
La clé, ce sont les mots, ces mots qui font battre le cœur, donnent image puis vie aux projets les plus fous, ces mots qui font levier et qui déclenchent les actions ! S’ils nous piquent nos vieilles rengaines, inventons-en de nouvelles, ils ne savent pas le faire. Mais pour réinventer des concepts sans refaire indéfiniment les mêmes erreurs, un peu de réflexion s’impose.
Politique : quand communication rime avec manipulation
Allez, un petit article en mode philo : prêts ? Partez ! Euh non, non, restez !
Les mots peuvent être séparés en deux catégories. Ceux qui définissent des réalités physiques => un arbre. Facile à définir. Ceux qui définissent des idées abstraites => la démocratie. Plus compliqué. L’idée abstraite nait en amont du mot. Elle nait dans notre esprit ou notre cœur, et c’est à travers les mots que l’on maitrise déjà, l’échange, la discussion, qu’on lui appose une définition.
Mais il faut préciser que le concept (le sens du mot) n’est jamais figé car il change selon l’époque, le lieu, le milieu, la personne qui l’utilise. Si je parle de la démocratie athénienne et de la démocratie en France en 2015, vous ne voyez pas la même chose derrière le mot « démocratie ». Il faut appliquer un exercice de remise en perspective précis pour rassembler les concepts similaires et éloigner ceux qui diffèrent. Il faut donc toujours préciser le sens conceptuel que l’on veut apposer au mot que l’on utilise.
En politique, dans une volonté de reconquérir les imaginaires et de redéfinir de nouvelles conceptualisation pour notre future vie sociale, il faut faire attention aux mots et encore plus au sens que l’on veut leur donner. Aujourd’hui, le monde politique est devenu un monde de communication dans lequel la manipulation – des mots et donc des hommes – est reine.
Tous les partis sans exception s’empruntent les mots et les tordent pour les adapter à leurs idées, ou concepts. Mais y a-t-il des idées, ou concepts, réellement novateurs au sein des grands partis dominants (du FN au FdG) ? La réponse est non, puisque inventer des concepts novateurs serait ériger une réelle porte de sortie de notre modèle capitaliste.
C’est sur ce point précis qu’il faut travailler. Le changement réel – celui que l’on veut – doit commencer par une évolution, un renouvellement des concepts.
On l’a dit, l’idée nait en amont des mots. Aujourd’hui, le concept du capitalisme englobe toutes les pseudo idées nouvelles qui naissent dans les esprits politiques. Du coup, on ne remet plus en cause le fondement même du système. Ce qu’il faut pour trouver de nouveaux concepts, c’est sortir du paradigme capitaliste, s’émanciper de cette pseudo condition préexistante à toute idée nouvelle.
De la même manière, on nous a enfermés derrière les barreaux du mot « démocratie ». Pourquoi j’emploie le mot « enfermer » ? Parce que nous ne vivons pas du tout en démocratie. Le problème, c’est qu’on ne peut plus le dénoncer, puisque le mot « démocratie » a été volé pour parler d’un système ploutocratique (donc anti-démocratique) ? Habile rhétorique n’est-ce pas, mais ne soyons pas dupes !
D’autres exemples ? On parle toujours de gauche et de droite en politique, ce qui permet de créer un faux clivage entre les électeurs. PS et UMP ont les mêmes idées, on le sait bien. Une vraie frontière pourrait être entre les libéraux capitalistes et les autres. Le capitalisme est désormais appelé « développement », la domination est rebaptisée « partenariat », le « travailleur » (celui qui rapporte de l’argent) est devenu un simple « salarié » (celui qui touche un salaire), l’exploitation est surnommée « gestion des ressources humaines », les « exploités » sont des « défavorisés » et l’aliénation est devenue « projet »…
D’ailleurs, dans tous les bouquins de commerce actuels, le mot positif « projet » est partout : en revanche, le mot négatif « hiérarchie » a complètement disparu… C’est pratique de l’effacer du vocabulaire, cela permet d’empêcher de le penser. Mais y a-t-il moins de « hiérarchie » aujourd’hui qu’hier ? De la même manière dans l’Éducation nationale, on a supprimé l’expression « échec scolaire » pour parler de « réussite différée »… Mais cela résout-il les problèmes d’échec scolaire, je vous le demande ! On peut y ajouter aussi tous les sigles abstraits (ils sont partout), enfermant des réalités dans un langage fonctionnel et anti-critique.
Dès 1968, le philosophe Herbert Marcuse nous prévenait : un jour, on ne pourra plus critiquer le capitalisme car le capitalisme aura supprimé tous les mots qui existent pour le qualifier négativement… Que dire de « l’exploité » qui est devenu un « défavorisé » ? Ne voyez vous pas l’arnaque ? Ne voyez-vous pas que la même personne qui était la victime de l’exploitation capitaliste est devenue dans l’esprit des gens un « pauvre bougre » qui ne peut rien à sa situation, tout cela en ne changeant qu’un mot. Comment parler négativement du « développement » ?
Les mots sont si importants ! L’enfant a qui l’on n’a jamais parlé restera toute sa vie muet, certainement empli de concepts sans mots pour les exprimer. Dans notre système, les partis dits « politiques » sont des coquilles vides en matière de politique. Ils ne savent que balbutier des mots vagues pour une vision à court terme de notre société.
L’UMP et le PS ont perdu toute crédibilité politique. Le FN convainc par sa position « anti-système », son pragmatisme et ses solutions « simples » voire réductrices qui font mouches car elles nécessitent de vraies explications (longues, précises et complexes) pour les démonter. Les partis d’extrême gauche se réclamant encore d’un marxisme ou d’un communisme – au sens premier du terme – ne font plus rêver la majorité des gens, à cause aussi d’une propagande centenaire anti « rouges ». L’anarchie – la faute à une belle propagande également – reste dans l’esprit d’une majorité synonyme de chaos, alors qu’elle représente l’opposé.
Alors, comment faire pour « récupérer » ces millions de personnes qui n’y croient plus, ceux qui se laissent convaincre par des idées réductrices allant – en plus – à l’encontre de la fraternité et du bien commun ? Comment « récupérer » aussi tous ceux qui, à peine majeurs, se désintéressent déjà totalement de l’avenir de leur pays et du monde ?
Je fais partie de ceux qui sont convaincus que le système actuel évolue de telle sorte que l’on tente consciemment de nous empêcher d’imaginer les portes vers un nouvel avenir, plus juste, plus respectueux de l’environnement et des hommes, plus libre, plus paisible et serein.
Comment inverser la tendance ? Comment réussir une reconquête des imaginaires au cœur de notre population ?
Des mots dépossédés de leur sens pour tuer les concepts
La démocratie est tordue dans tout les sens pour nous faire accepter ce système qui est tout sauf démocratique, le mot populisme est devenu une injure, le capitalisme n’est presque plus défini, presque plus combattu, il est devenu un monopole et une Loi, l’économie rime et se confond avec lui… Comme c’est pratique. On mélange les termes, nationalisme, socialisme, libéralisme… On perd les gens.
A l’inverse, les mots communiste et anarchiste sont devenus de véritables insultes. Le communiste, c’est le Rouge, le mec qui veut sacrifier la liberté au nom de l’égalité et transformer notre monde en usine. L’anarchiste est encore pire, il est dans une optique de destruction pure. Son projet, c’est de renverser ce système et d’instaurer le chaos ! (HS : en vérité, qui peut croire que le projet d’une personne ou d’un groupe puisse-t-être… le chaos ? Qui ? Cela m’intrigue grandement !)
L’on doit repenser les mots « écologie« , « utopie » (qui sont les vrais utopistes, ceux qui veulent une vie simple, fraternelle et décente ou ceux qui croient – et qui nous font tous croire – à une croissance infinie ?). L’on doit repenser les mots « citoyen », « militant », salis par leur sur-utilisation dans le milieu politique…
L’on doit réexpliquer à chaque fois les termes de démocratie, d’anarchie, de syndicalisme, d’humanisme. Les remettre dans le contexte actuel et faire comprendre l’écart immense qui existe entre ce qu’ils sont et ce qu’ils deviennent lorsqu’ils sont utilisés par les « élites ». Leur redonner leur beauté originelle. Les restaurer comme de belles pierres !
Lire aussi : Le parler de banlieue, poumon de la langue française ?
Qui dit reconquête dit action. Apposé aux mots nouveaux, on doit réussir à changer les habitudes, les réflexes politiques hérités d’une vieille bourgeoisie, d’une vieille France de classes que les gens ne veulent plus voir. Interrompez vos amis, chipotez sur leur utilisation de tel ou tel mot, faites leur ouvrir les yeux sur certaines définitions complètement obsolètes ou mensongères. Ne les laissez pas galvauder des mots inconsciemment…
La politique est un art noble, une idée fantastique qui devrait parler à tout le monde. Car tout le monde a envie d’être une pièce maîtresse au sein d’une société extravertie et positive qui évolue dans une recherche constante du bonheur de chacun et de tous. C’est tout de même la vocation première de la politique. Aujourd’hui, la politique est devenue un synonyme d’élite, de magouilles, d’austérité, d’économie… Un bien triste résultat.
Finies les phrases à rallonge d’élus de Sciences Po, de l’ENA. Finis les costards, les pièces remplies de moulures en or et de cocktails mondains. Finis les politiciens professionnels qui débitent des mots savants en pensant à leur solde et à leurs prochaines vacances avec le millionnaire de telle ou telle multinationale. C’est à nous de créer les mots et les concepts politiques de demain. D’accord, notre éducation classique a été de nous asseoir et d’écouter. Mais en réalité, on en sait autant qu’eux, croyez-moi !
La politique doit se faire dans l’espace public, auprès des gens et avec les gens. Des femmes et des hommes non pas vu comme des électeurs mais comme des collègues, des amis avec qui construire l’avenir… Ensemble !
Avec un vocabulaire expliqué, simple, clair et précis, populaire peut-être, pourquoi pas tant qu’il est sincère ! On s’y met quand ?
j’ai plaisir à lire cet article car je partage absolument votre avis sur l’utilisation galvaudée ou mensongère des mots, et les dérives de langage sur certains concepts. Les politiques le font tellement que c’est passé dans l’usage courant de ne plus réfléchir aux termes que l’on emploie et à ce qu’ils représentent. Sauf que, comme vous l’expliquez, les mots que l’on utilise conditionnent notre façon de nous représenter les choses que ces mots définissent. Mon meilleur exemple reste tout de même les cotisations patronales, devenues des charges patronales : l’esprit est habitué à considéré cela comme des « charges », donc à connotation négative et ne se questionne plus sur la légitimité de ce que cela représente en réalité, à tel point que même un salarié lambda sera aujourd’hui capable d ‘être pour la baisse des « charges patronales », parce que comme on le lui dit si bien, moins de charges, plus de création d’emplois….Simplifications, mensonges, sophismes… il serait temps d’arrêter de tout avaler et de faire le petit effort de s’interroger sur ce qui fait sens.
Oui vive la désintox de la langue de bois !!!
Et au passage, je pense qu’un autre grand chantier de la langue est de réincorporer env. la moitié de la population française aux discussions…
comme par exemple : de rajouter la sororité à la fraternité ce qui fait……….. l’humanité 🙂
parce que comme tu dis, l’idée nait en amont des mots ET les mots que l’on utilise influencent notre idée : la femme est tout aussi importante que l’homme, nous en sommes assuré.e.s mais…
comme dit Alexis dans sa conf’ gesticulée :
un hérisson et mille femmes, « ils » traversent ?
à nous de jouer !
Merci d’être des agitateur.trice.s de conscience.
Il y a de vrais morceaux de Franck Lepage dans cet article.
C’est une vraie source d’inspiration, ce Monsieur Lepage !
D’ailleurs, je ne manque pas de lui rendre hommage !
>> http://www.indigne-du-canape.com/quand-les-indignes-se-font-des-films-7-frank-lepage-leducateur-populaire/
😉 Olivier !
On s’y met quand ? Maintenant !!!
Allez, avec plaisir, c’est réellement un travail à la portée de tous, quotidien, qui demande simplement de s’écouter et d’écouter l’autre.
Merci Cha’.
L’ I