L'Indigné du Canapé

Le parler de banlieue, poumon de la langue française ?

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L’argot de la banlieue fait-il respirer une langue française poussiéreuse que les élites littéraires peinent à laisser changer ou représente-t-il un appauvrissement du français ?

« Wesh, j’pénave comme j’veux, t’as vu… Au calme ! » (Diantre, je m’exprime de la manière qui me convient le mieux, vois-tu… Ne t’en fais donc point !)

On fait beaucoup de procès au langage utilisé par les jeunes (de banlieue ou non), le parler « wesh-wesh ». Pourtant, depuis des centaines d’années, la langue française s’enrichit au fur et à mesure que les populations évoluent, se brassent, échangent. Par exemple, qui viendrait en 2013 critiquer les mots « clopes, sape, flingue ou morue (dans le sens d’une femme pas à son goût) ? Qui aujourd’hui viendrait trouver indécents la gouaille et l’accent d’Arletty, l’accent de « Atmosphère, atmosphère » ?

Pourtant, ce même débat a eu lieu, à chaque époque, confrontant d’anciennes générations et de nouvelles. De la même façon chez nos confrères anglo-saxons, le slang a toujours eu mauvaise presse mais de nos jours, plus personne ne peut critiquer les évolutions de la langue anglaise, venues essentiellement des quartiers. Car la plupart des évolutions nées à Brooklyn ou dans le Bronx sont cohérentes entre elles, plutôt bien trouvées… et tout le monde les utilise !

Des expressions qui ont trouvé l’ascenseur social…

Pareil en France ! Aujourd’hui, la majorité de la population est familière avec le verlan des années 90, et tout le monde ou presque de moins de 60 ans peut employer les expressions : « C’est ouf !, le guedin, le keum, la meuf, les keufs »… Mais aussi les mots « bled, wesh, kif, clebs, chouiya » venus d’Afrique du Nord et peu à peu intégrés à notre langue depuis une cinquantaine d’années… Et cela évolue encore et toujours. Le verlan cité auparavant n’est par exemple plus trop utilisé par la jeunesse de 2013, remplacé à son tour par des expressions venues de tous les pays du monde.

Aujourd’hui, « on s’enjaille » (on s’amuse, origines nouchi), on « pénave » (on parle, origines romani), on parle avec nos « khos » (nos frères, origines maghrebines), parfois on est « en chien » de quelque chose (en manque, origines créoles) ou « dans le move » (dans la bonne dynamique, origines anglo-saxonnes)… Ces expressions viennent de partout et s’intègrent avec une facilité déconcertante dans le vocabulaire des jeunes de toutes les origines. C’est la base de la multiculturalité, car la France n’est pas seulement occidentale, elle est internationale et créolisée, et c’est cela qui fait sa force ! Et si on ne le voit pas, c’est sûrement que l’on est « un boloss » (un ringard, origines soninké ou arabes).

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« Langue, immigration, culture : paroles de la banlieue française », de Nadia Duchêne : statistiques à propos de « Tchatche de banlieue » (1998) élaboré par Philippe Pierre Adolphe, Max Mamoud et Georges Olivier Tzanos

Ascenseur social ou censure sociale ?

Le faux souci, c’est qu’à une époque où la crise exacerbe les haines et où l’on nous oblige à trouver des coupables, il est de bon ton (et très facile) de stigmatiser les mecs de banlieue, enfants d’immigrés, qui (entend-t-on) ne cherchent pas de travail et se plaignent de la France, sont violents, et en ne parlant pas bien le français, l’appauvrissent. Mais ce type de réflexion à deux doigts d’un racisme primaire n’est pas vraiment étayé et ne « vaut pas tripette ». Et surtout, on l’a vu, tout le monde ou presque en France parle notre cher argot des banlieues, qui s’est bien démocratisé.

Le vrai souci arrive au moment où l’on se rend compte que cet argot utilisé dans les banlieues pour se différencier et marquer son appartenance à la France créolisée, devient pour certains l’unique moyen pour communiquer avec les autres.

Là se crée un vrai clivage qu’il est difficile – trop tard ? – pour combler, et pose la personne, coupée du reste des citoyens, dans une position de victime. Victime qui peut alors aisément se révolter contre une position d’exclusion qu’elle n’a pas choisie au départ mais qu’elle a finalement alimentée…

Le (vrai) défi est donc d’accepter le langage des banlieues, qui fait un bien fou à une langue française difficile que les élites littéraires emprisonnent en l’empêchant d’évoluer… Mais sans oublier de défendre les fondements de cette langue française, et cela partout sur le territoire. Oui, il faudrait arrêter la stigmatisation, arrêter de mettre les zones dites « sensibles » à la queue d’un train miraculeux qui ne passe jamais par les banlieues…

Photo : Couverture du livre Le petit livre de la tchatche, Vincent Mongaillard

11 commentaires

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  • Très bon article, en tant qu’orthophoniste directement confronté à ce problème, je valide ta position!
    par ailleurs, voici la preuve (caricaturée, certes, mais c’est tellement bon) que le « parler de banlieue » permet de parler de choses plus classiques aussi…ok, javou d fois c chelou, ms serieux c telmt golri ki faut ktu lrodave cousin. peace.

    http://bolossdesbelleslettres.tumblr.com/

    • haha j’ai bien bien ri ! Et je n’ai pas tout compris, c’est grave docteur ?
      En tout cas merci de valider ma position, j’ai été confronté à de nombreux détracteurs sur http://www.agoravox.fr avec cet article !
      Enfin bref :
      Big Up à oit, on scapte en deux deux, t’as vu,
      t’as mon phonetel !
      Peace !

  • Wesh, très bon article ! Surtout que de nombreux mots de la langue française dite « classique » tirent également leurs origines de contrées étrangères. Le phénomène n’est donc clairement pas nouveau.

    Une petite question quand même : le langage « internet/textos » (les LOL, TMTC, TG…), les considères-tu comme faisant partie du « langage utilisé par les djeuns » donc comme un enrichissement de la langue française ?

    Tcheck ! 😉

    • Wesh, ta remarque est stylée t’as vu !
      J’y avais même pas songé, trop « golri »…
      Mais à la réflexion, je dirais que oui, on peut apparenter le langage Internet à ces nouvelles façons de s’exprimer qui enrichissent notre langue.
      Le risque reste toujours lorsqu’elles deviennent la norme et qu’elles enferment ceux qui les utilisent à outrance dans un monde où plus personne ne peut ni ne veut les comprendre.
      T’as kiffé ?
      Aaazy, ça m’a fait plaisir !

    • (De la part d’un « jeune » comme vous le dites.)

      C’est pas possible de lire des choses pareilles haha, sérieux ? Quel âge avez vous l’auteur ? Certainement assez de printemps derrière vous pour commencer à vous sentir vieillot, on se rajeunit à coup d’expressions « djeun’s » ?

      Navré d’être aussi sévère; Mais la bonne forme de la langue française n’a rien à voir avec une quelconque forme d’élitisme. Cet argot dont vous parlez, c’est la mort de la nuance, de la sensibilité du verbe, ce qu’est la langue francaise : elle est nuancée, subtile et complexe. J’ai ri en lisant votre article et vos messages ci dessus. Désolé, je suis un peu condescendant, mais taquin.

      Je ne cracherais jamais sur l’argot, dans lequel je baigne depuis petit; mais de là à dire que c’est un enrichissement ! On t’a bercé trop près du mur ?

      un enrichissement de la langue française ? Je te cite
      -( » Wesh, ta remarque est stylée t’as vu !
      J’y avais même pas songé, trop « golri « ) Alors là je suis cloué, quel enrichissement !!!

      Mais mon gars, tu parle comme ca à une « victime » de banlieue comme tu dis, en zone ou même en ville, on te met deux grandes claques si c’est pas plus.

      D’ailleurs le terme « victime » que tu utilise en bon faux-cul que tu est, laisse malgré tout le mal que tu te donnes, transparaitre la vraie face du rascisme d’aujourd’hui : celui qui veut prendre sous son aile la « pauvre victime de banlieue », trop bête pour s’en sortir, c’est mignon son language wesh wesh tavu bien ou bien ?

      L’indigné du canapé, restes-y dans ton canapé, sheitan.

      Cependant, réponds, t’as pas d’accord on en discute « au calme » zer; et sinon j’termine ça en octogone sans règle; petite pefra.

    • Bonjour jeune freluquet.
      Merci pour votre message, même s’il relève d’un auto-centrisme réactionnaire assez confondant.
      Vous avez lu mon article à l’envers : les petites marques d’humour sont utilisées pour (essayer de) ridiculiser mon propos, et votre argumentation s’éloigne du fond pour se concentrer sur quelques détails insignifiant (quel âge j’ai ; comment pourrais-je être « accueilli » en banlieue = on s’en fout).

      Tout ce que j’essayais d’expliquer dans mon article, c’est que si c’est important de maîtriser le français correct (pour l’école, pour le travail) qui est aussi une forme d’élitisme (car le « bon » français valorisé à l’école est aussi celui des classes les plus favorisés (= lire Bourdieu entre autres), l’enrichissement d’une langue par d’autres, et une utilisation originale de celle-ci allant de pair avec une utilisation plus consensuelle ne peut être qu’un enrichissement, contrairement à ce que peuvent penser les réactionnaires qui ont une vision biaisée de la réalité – notamment historique – et qui croient que tout était mieux il y a plusieurs siècles.
      Voilà tout.
      Mais bon, vu votre inconséquence, je doute que ma réponse vous apporte grand-chose.
      Paix à vous cependant.

      L’I

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