Depuis les fameux 3D du système financier dans les années 80 (désintermédiation, décloisonnement, déréglementation) qui a permis une extraordinaire mobilité et fluidité aux capitaux, les dominants de la planète (aka les détenteurs de capitaux) ont récupéré un pouvoir tel sur les travailleurs que les inégalités explosent. Ces nouvelles règles du jeu sont beaucoup trop aux avantages des dominants, Et cela crée des conflits partout sur la planète. Le capitalisme est en crise. Et Macron n’arrange rien, ce qui était prévisible.
Redisons-le, précisément, afin que tout le monde mesure cette réalité : notre modèle économique et social, basé sur une production et une consommation industrielles, et sur une répartition inégalitaire des richesses produites, est actuellement pris de convulsions, car il fait plus de victimes que de vainqueurs.
Cette situation tendue peut basculer d’un côté ou de l’autre. Je m’explique. Pour le moment, les pouvoirs industriels, financiers, médiatiques et politiques réussissent tant bien que mal à ce que les partis soutenant l’idéologie capitaliste libérale – du parti conservateur de droite au parti libéral-socialiste en passant par « l’extrême-centre » – continuent de triompher et d’approfondir ce durcissement des conditions de vie de la majorité, au profit d’une minorité. Mais face à cela, il existe deux alternatives (et en réalité, qu’une seule).
La première, c’est celle incarnée par les partis d’extrême droite. Fondamentalement réactionnaire, elle ne propose en réalité rien de très différent par rapport au pouvoir en place. Au contraire : c’est même à travers son influence que les partis dits « modérés » orientent peu à peu leur politique, vers une stigmatisation des plus exclus de nos sociétés (les migrants, les sans-papiers, les personnes à la fois pauvres et racisées mêmes françaises) afin de diviser la population des dominés, et lui faire détourner les yeux des vrais exploiteurs.
Le FN (ou RN), je l’ai déjà démontré, n’est pas du côté des pauvres, des travailleurs, il est du côté des patrons, du Capital, de la finance (et ce n’est pas la récente interview de Marine Le Pen, qui se dit contre la hausse du SMIC et pour la fin des cotisations patronales, qui me fera douter, et vous non plus).
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La seconde, c’est l’extrême gauche. Mais cette dernière est profondément divisée, et largement décrédibilisée aux yeux des gens. Entre un Mélenchon – empêtré dans des affaires judiciaires – dont le parti est critiqué pour sa forme pyramidale, des partis à l’héritage marxiste qui semble poussiéreux pour la grande majorité (coucou LO et le PC) ou encore le sympathique NPA de Poutou qui ne semble exister, dans l’esprit des gens, que pour dire 2-3 vérités (avec humour) avant de faire 2-3%, on n’est pas avancé. En outre, l’image de l’écologie a été écornée par le parti des Verts (EELV aujourd’hui), et les anarchistes restent les boucs émissaires par excellence : on ne parle jamais de leurs idées politiques, mais on les pointe du doigt dès qu’il y a la moindre vitrine cassée ou le moindre pavé lancé (bref, le travail des médias sur l’anarchie est un véritable trou noir).
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Mais comment, dans ces conditions, penser le changement ? Un changement urgent, quand on voit les inégalités, croissantes, mais aussi la nécessité d’un monde moins industriel, plus écologique, plus démocratique, et j’en passe.
De l’irruption spontanée et désorganisée à la lutte
L’irruption des Gilets Jaunes amorce une réponse. Le changement peut être réclamé spontanément, à partir d’une cause qui semblerait presque désuète, comme la hausse du prix du carburant par exemple. Et c’est d’ailleurs souvent comme cela qu’il est le plus efficace.
Maintenant, il faut déterminer de quel changement parle-t-on : veut-on des réformettes qui améliore le pouvoir d’achat, mais qui ne change pas profondément le système, quitte à ce que le problème des inégalités se repose dans 5 ans, 10 ans, 20 ans ?
Ou veut-on anéantir les origines même de ces inégalités, à savoir le capitalisme.
Les Gilets Jaunes ont une vertu : après s’être soulevés contre le prix du carburant, puis contre les taxes en général (des revendications plutôt conservatrices, stigmatisant l’Etat comme seul responsable de tous les malheurs), ils se sont mis à critiquer l’inéquitable répartition des richesses. Ils ont pointé du doigt ce Gouvernement qui accentue les inégalités, en améliorant toujours plus les conditions d’existence des plus nantis, et en détériorant le pouvoir d’achat des classes modestes et moyennes.
Et c’est vrai qu’il faut obtenir des choses, qu’il faut penser au « tout-de-suite-maintenant » car c’est une question de survie. Mais il faut aussi penser à plus loin, à nos services publics, penser à notre planète que l’on détruit, pour nos enfants…
Les Gilets Jaune représentent un autre avantage : ils recréent du lien social, surtout dans les zones péri-urbaines et rurales. Les gens se reparlent, se réapprivoisent, loin du miroir déformant de la télévision. Tout n’est pas idéal, évidemment, oui on a vu des actes racistes, oui on a vu de la délation, de la violence (je parle de la violence entre les gens, pas contre les statuts ou les vitrines), et c’est fortement condamnable.
Mais on a vu aussi beaucoup de solidarité. Au niveau national même, les actions des GJ ont attiré à eux des Gilets Verts, des syndicats, des collectifs dits « de banlieue », comme La vérité pour Adama, des anciens de Nuit Debout, des étudiants, des fonctionnaires de la santé ou de l’éducation… et ce n’est pas pour rien que les partis de droite, et même certains membres d’extrême droite, se désolidarisent peu à peu.
Il faut voir que cette lutte, qui a uni de nombreuses personnes, en majorité peu engagées politiquement, est en train de faire émerger une conscience politique – au sens d’action collective – chez ses membres. Ils ne seront plus jamais pareils, transformés par ces moments de partage, par ces discussions, par le fait de battre le pavé ensemble, par ces affrontements avec la police. C’est une bonne chose, c’est peut-être la naissance d’une conscience de classe…
Mais cette classe, désormais, doit être prête à l’action pour changer le monde.
De la lutte réformiste à la lutte révolutionnaire
Les Gilets Jaunes représentent aussi un « risque » : à l’heure où le capitalisme est en crise, en pleine convulsion, comme on l’a vu, c’est le moment idéal pour l’achever. Maintenant que le rapport de force est enclenché, que les dominants ont peur (pour s’en apercevoir, il suffit de voir comme ils agitent le drapeau rouge et noir de la violence et de la peur pour retourner l’opinion publique), il faut les faire tomber de leur piédestal.
Avoir fait tout ça pour n’obtenir que l’annulation de la taxe sur le carburant, le rétablissement de l’ISF et quelques euros de plus pour le SMIC serait d’une tristesse infinie. Car même si cela serait une petite victoire au regard des difficultés du court terme, ce serait une gigantesque défaite de fond :
– rien concernant la représentation politique, à l’heure où nos élus sont totalement déconnectés de nos réalités
– rien de fort pour assurer une plus juste répartition des richesses, de façon globale et pérenne
– rien contre le monde de la finance, qui est le principal responsable de l’explosion des inégalités depuis 30 ans
– rien sur la sauvegarde de nos services publics, notre bien commun le plus cher (avec la nature évidemment)
– rien pour favoriser la fin de l’ère industrielle de masse, et aller vers une transition écologique réelle
C’est pourquoi il ne faut pas en terminer avec ce mouvement tant que ne seront pas obtenus des réponses concrètes sur ces points-ci. Parmi les idées à retenir, on peut par exemple évoquer (ce ne sont que des exemples, loin de moi la prétention de proposer un programme politique précis) :
– des mandats impératifs pour les élus, des élus déprofessionnalisés, sans casier judiciaire, sans cumul de mandats, sans avantages à vie à la fin de leur mandat
– revoir entièrement les modalités de la représentation citoyenne (avec prise en compte du vote blanc si vote il y a)
– une plus forte décentralisation, pour relocaliser les débats et que les citoyens aient une visibilité sur ce qui se passe dans leur zone de vie
– une réflexion sur les réelles possibilités de mener une politique non libérale dans le cadre de l’UE et avec une monnaie unique (car a priori, il n’y en a pas)
– une limitation des salaires des grands patrons (1 à 5 ? 1 à 10 ?)
– la limitation de l’exil fiscal et de l’optimisation fiscale (via par exemple un impôt universel, qu’on paie où que l’on habite et où que l’on fasse des bénéfices)
– la taxation massive du capital mobilier, des transactions financières, et un encadrement strict des banques pour empêcher la spéculation financière, donc les bulles, donc les crises
– acter la séparation des banques de dépôt et des banques d’investissement, et créer une banque publique garantissant le financement des ménages
– l’interdiction des CDD et autres contrats précaires pour les entreprises faisant des bénéfices
– la fin immédiate du CICE
– la fin de la vente d’armes, la fin des dépenses militaires qui sont un gouffre financier
– la fin de l’exploitation de richesses et d’humains à l’étranger
– le démantèlement (ou la limitation de l’expansion) des monopoles privés, comme les multinationales du secteur agroalimentaire (dont les supermarchés et les « restos » de malbouffe), vestimentaire (le made in China/Taïwan/Turquie), médiatique (on en a assez de la propagande) : et sinon, le boycott existe !
– favoriser l’autogestion et les coopératives, au niveau local
– limiter l’affichage publicitaire
– une hausse du salaire minimum
– le droit universel et automatique aux minimas sociaux
– un impôt sur le revenu davantage progressif, avec plus de tranches (pour que les très riches paient une part réellement relative à leur richesse)
– un renforcement du système de Sécurité Sociale
– un investissement massif dans les services publics (écoles, santé, transports ferroviaires, infrastructures)
– la renationalisation des réseaux ferrés, des autoroutes, des barrages, de l’électricité, etc. et l’interdiction de futures privatisations
– un investissement massif dans les projets écologiques (agriculture paysanne et biologique, circuits courts, énergies renouvelables, tri, désurbanisation, communalisation des biens premiers)
– l’ouverture des frontières et la garantie des droits fondamentaux aux migrants…
Certaines de ces revendications étaient déjà présentes dans une liste récente transmise aux médias par les Gilets Jaunes.
C’est encourageant mais encore insuffisant.
Comme le dit Edouard Louis, transfuge de classe et sociologue, dans un récent article sur les Gilets Jaunes :
Il y a différentes manières de dire : « Je souffre » : un mouvement social, c’est précisément ce moment où s’ouvre la possibilité que ceux qui souffrent ne disent plus : « Je souffre à cause de l’immigration et de ma voisine qui touche des aides sociales« , mais : « Je souffre à cause de celles et ceux qui gouvernent. Je souffre à cause du système de classe, à cause d’Emmanuel Macron et Edouard Philippe« . Le mouvement social, c’est un moment de subversion du langage, un moment où les vieux langages peuvent vaciller.
N’oublions pas que la lutte réelle, totale, systémique, celle qui remet réellement en cause le fondement des Autorités consacrées (la Vème République, le Capitalisme et ses inégalités, la financiarisation de l’économie), l’extrême droite la refuse, au nom de l’Ordre, au nom de la Hiérarchie, au nom de la Fidélité à la Patrie. Ne tombons pas dans ce piège, qui ferait que cette lutte aurait été « vaine et désastreuse »…
Rendons le langage aussi subversif que nos vies sont cabossées, et obtenons un changement total !
L’ I
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