L'Indigné du Canapé

L’apolitisme, c’est refuser de réfléchir et de tout transformer

Être apolitique, c’est une nouvelle tendance, mais attention, une tendance dangereuse. Car cette mystification fait en réalité les affaires du pouvoir en place, mais aussi de l’extrême droite et de ses confusionnistes, trop avides de notoriété pour oser se positionner et réclamer un changement structurel, le vrai, le seul.
Explications.

« Apolitisme » : refus de tout engagement politique à partir de motivations ou de justifications diverses.

Dit autrement, l’apolitique se tient « en dehors de la lutte politique ». Mais alors, pourquoi tant de Gilets Jaunes se déclarent apolitiques ? Avec ce mouvement et leurs revendications, ils sont en plein dans la lutte politique !

Il ne faut surtout pas confondre LE politique (les partis politiques, les politiciens, la lutte pour le pouvoir) avec LA politique, c’est-à-dire la réflexion de chaque citoyen sur le meilleur moyen d’organiser la cité et la vie ensemble. Refuser d’être récupéré par un parti, c’est être « apartisan » (et c’est tout à fait compréhensible voire louable).

Se déclarer apolitique, c’est souvent dire un gros mensonge : on a tous des idées, des valeurs que l’on juge les plus importantes, celles qui doivent être transmises en priorité à l’école par exemple, mais aussi être incarnées par les institutions (la Justice, l’Etat). On a tous une tolérance (plus ou moins forte) aux inégalités sociales et économiques, une conception du vivre-ensemble, une opinion sur le rôle des politiciens, ou encore sur le rôle des médias dans la cité.
Donc, aucun de nous n’est réellement apolitique. Car toutes ces idées et opinions, elles trouvent leurs racines dans des théories, ou plus précisément (oups, je vais dire un gros mot) dans des idéologies.

« Idéologie » : Ensemble des idées, doctrines ou croyances propres à une société ou à une classe.

L’idéologie politique est une philosophie du monde politique, une manière de concevoir l’organisation de la société. Se déclarer apolitique est aussi un aveu de faiblesse : c’est avouer à demi-mot qu’on ne maîtrise aucune théorie politique (encore une fois, à ne pas confondre avec les différents partis politiques, qui n’en incarne souvent qu’un tout petit nombre, et pauvrement) et afficher sciemment qu’on refuse de s’y intéresser. Et ça, c’est franchement incompatible avec un mouvement social… réclamant une refonte des institutions démocratiques, une meilleure répartition des richesses, etc. !

Comment peut-on revendiquer le changement sans s’intéresser à aucune théorie, ou seulement à travers les prises de parole de quelques gourous ?
Comment peut-on reprocher à la plupart des grands médias de diffuser la pensée de leurs propriétaires (tous de grands capitalistes qui défendent leurs intérêts) sans le dire clairement… et en opposition, défendre des idées sans les positionner politiquement et historiquement, donc sans le dire clairement, en brandissant l’argument de l’apolitisme ?

Car oui, l’histoire des idées humanistes est claire :
– les revendications de démocratie directe sont toutes liées à l’Histoire sociale révolutionnaire, issue de réflexions socialistes, au sens d’anarchistes ou communistes (la Commune de Paris de 1871, les Soviets en Russie au début du XXème siècles, les communautés libertaires espagnoles des années 30, le Chiapas ou le Rojava aujourd’hui)…
– les revendications pour plus d’égalité sont elles aussi portées par les idéaux anarchistes et communistes, et ils ont toujours été combattus, et par les pouvoirs royaux (aristocratiques), et par les dictateurs comme Hitler ou Staline, et par les gouvernements capitalistes, pour qui l’égalité tue la création. De manière plus générale, le libéralisme n’est combattu que par les idéologies de gauche, justement parce que trop de libéralisme économiques engendre des inégalités sociales et économiques insupportables pour les égalitaires (et des dégâts écologiques irréversibles).
– eh oui, l’écologie politique est née à gauche, ce qui n’est pas étonnant, puisqu’elle réclame un autre mode de production, plus respectueux de l’environnement, et donc, une remise en question de notre société de consommation favorisée par des multinationales amorales.
– la Sécurité Sociale (la protection de tous par tous, notamment via les pensions de retraite) est une idée d’inspiration communiste (allez vous renseigner sur Ambroise Croizat).
– idéologiquement, la droite libérale veut le moins d’Etat et de services publics possible, et la gauche réclame l’inverse. Ainsi, pour plus d’écoles, de bureaux administratifs, d’hôpitaux, de crèches, on sait vers qui ne surtout pas se tourner !
Ces quelques exemples historiques, dont les contenus idéologiques sont proches des revendications des Gilets Jaunes, démontrent bien que ces derniers ne sont pas apolitiques.

A l’inverse, dans les faits, il n’est pas compliqué de remarquer que le Rassemblement National (ex FN) est :
– pour le libéralisme économique, notamment des marchés financiers (pas un mot sur les actionnaires dans le programme du RN),
– pour le secret des affaires (qui protège les entreprises plutôt que les lanceurs d’alerte),
– pour l’exil fiscal,
– pas contre le lobbying,
– contre les libertés individuelles dont le plein droit de manifester (le FN n’a pas voté la loi anti-casseurs car ils l’ont jugée « vidée de sa substance », lol),
– contre les travailleurs (contre la hausse du SMIC par exemple, contre l’égalité hommes-femmes, contre l’amélioration des droits et du bien-être au travail, ne reconnaissant pas la pénibilité par exemple),
– contre une organisation plus horizontale de l’économie (contre une hausse du pouvoir de décision des travailleurs dans leurs entreprises)…
– contre une organisation plus horizontale de la démocratie (via une 6e République par exemple)…
Sans compter le fait que ce parti passe à la trappe l’écologie (tiens, comme le Gouvernement) et qu’il a voté la Loi anti-immigration (tiens, une loi du Gouvernement).
A l’inverse, il existe quelques députés qui résistent à la vague LREM/LR/RN dans l’Hémicycle, en proposant des lois, des amendements, en tentant de créer du mouvement pour une société plus égalitaire, plus démocratique, moins violence, etc.

Pas étonnant donc que ce soit à l’extrême droite qu’on utilise le plus l’argument de l’apolitisme : le FN serait devenu plus social et moins libéral depuis Marine Le Pen, Soral a inventé le slogan « ni de gauche, ni de droite », de nombreux sites classés d’extrême droite (ou confusionnistes) relaient autant de fake news racistes que d’articles sur de célèbres communistes ou libertaires…
Cet apolitisme-là (qui est une forme de confusionnisme) est le nouveau moyen pour l’extrême droite de gagner des suffrages sans effort.
Se dire apolitique est tout bénèf pour les députés et sympathisants du RN. De cette manière, ils peuvent :
1/ défendre les intérêts de leur classe favorisée en votant comme la majorité
2/ critiquer la majorité pour ses décisions, notamment quand cette majorité est impopulaire
3/ infiltrer les manifestations pour faire « peuple » (et encore, cela est récent, l’extrême droite à longtemps critiqué les manifestations)
4/ critiquer les idées des « gauchistes » (on se demande bien pourquoi, si eux aussi luttent contre le système ?) tout en paraissant plus ouverts et moins « radicaux » qu’eux (ben oui, les gauchistes sont dans la cohérence idéologique, alors que les extrême-droitistes sont « apolitiques »)
5/ le tout pour éviter de défendre clairement leurs théories, qui sont très proches de celles du pouvoir en place (ce qui risquerait de leur faire perdre en attractivité) , la xénophobie affichée en plus (ce qui n’est pas très consistant, politiquement).

L’apolitisme est donc bien un terreau fertile pour les confusionnistes et toute les f(r)anges d’extrême droite, leur permettant de gagner en notoriété et en intention de vote sans jamais prendre des positions impopulaires.
L’apartisanisme est tout à fait compréhensible, mais l’apolitisme est une gangrène.
Maintenant, vous savez.

Certes, les affrontements binaires d’antan ont disparu.
Certes, la gauche « PS » n’a plus rien de gauche, et les frontières entre cette gauche, le centre, la droite et l’extrême droite sont parfois fines.
Certes, l’Internet et son lot de Fake News et de trolls rend parfois le décryptage difficile.
Certes, les médias n’aident pas non plus avec leur supposée neutralité qui, en réalité, ne sert que les intérêts des classes dominantes.
Mais les idées n’ont pas disparu et elles ne sont pas neutres.

Le pouvoir n’a pas peur des idées de l’extrême droite, son alliée idéologique, il ne craint que ceux qui veulent renverser l’ordre établi. Les idées ont une histoire, et à travers leur combat, les Gilets Jaunes (bien que composés de nombreux partisans de l’extrême droite) perpétuent la tradition de lutte pour l’émancipation humaine.
Il faut juste avoir le courage d’en prendre conscience et de l’avouer, haut et fort.

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Sources : Mediapart, Bastamag, La Toupie

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